Project Gutenberg's L'Illustration, No. 3663, 10 Mai 1913, by Various This eBook is for the use of anyone anywhere at no cost and with almost no restrictions whatsoever. You may copy it, give it away or re-use it under the terms of the Project Gutenberg License included with this eBook or online at www.gutenberg.org Title: L'Illustration, No. 3663, 10 Mai 1913 Author: Various Release Date: January 31, 2012 [EBook #38729] Language: French Character set encoding: ISO-8859-1 *** START OF THIS PROJECT GUTENBERG EBOOK L'ILLUSTRATION, 10 MAI 1913 *** Produced by Jeroen Hellingman et Rénald Lévesque
L'Illustration, No. 3663, 10 Mai 1913
Ce numéro contient
lº LA PETITE ILLUSTRATION, Série-Théâtre nº 6: Hélène
Ardouin, de M. Alfred Capus;
2° Un Supplément économique et financier de
deux pages.
L'ARRIVEE D'ALPHONSE XIII Le roi d'Espagne et le président de la
République à la gare du Bois de Boulogne.
Nos lecteurs ont pu constater les nouveaux progrès réalisés dans l'édition de notre numéro du Salon. Le nombre des planches hors texte et remmargées, en couleurs ou en héliogravure, a été augmenté; presque toutes les pages ont été tirées en deux tons et plus de 150 tableaux ont été reproduits, donnant une idée d'ensemble assez complète de la double exposition de peinture du Grand Palais.
Malheureusement l'établissement d'un pareil numéro, dont le poids atteint un kilogramme, et qui est tiré à 138.000 exemplaires, a constitué un travail énorme, pour lequel il était impossible de prendre une avance, et qui a dû être mené à bien en quelques jours seulement. Le Salon est, en effet, une actualité, et certains tableaux, les plus intéressants et les mieux signés, n'arrivent au Grand Palais que dans les derniers jours d'avril.
Bien que nos ateliers se soient fait aider par la plus importante maison d'imprimerie et de brochure de Paris, il a été impossible d'obtenir l'assemblage et le brochage de plus de 25.000 exemplaires par jour. Ces opérations n'ayant pu commencer que le mercredi 30 avril, et le jeudi de l'Ascension, puis le dimanche étant jours de chômage légal, ce n'est donc que le mercredi 7 mai que le brochage complet a été terminé.
Nos abonnés s'expliquent ainsi le retard qu'ils ont subi dans la réception, de leur numéro.
Notre Salon et notre Noël sont de véritables primes que nous leur adressons, deux fois par an. Pour ces albums copieux et luxueux, nous leur demandons une tolérance de quelques jours sur les dates fixées.
Nous publierons le 17 mai:
Servir
la belle oeuvre de M. Henri Lavedan, jouée par M. Lucien Guitry au
théâtre Sarah-Bernhardt.
La Chienne du roi, un acte du même auteur, qui accompagnait Servir
sur l'affiche, complétera ce numéro de La Petite Illustration.
Je ne sais pas ce qui a passé dans l'air, et dans tout moi-même. Je montais les Champs-Elysées, par un de ces temps si beaux, d'une suavité si fine et si tendre qu'aucune phrase échappée du coeur, aucun mot rare et choisi, ne seraient capables d'en fournir la plus petite idée!... La vie, pour un instant, consentait à se révéler dans sa beauté première, et les paradis n'étaient plus perdus. Je m'avançais dans un vertige de joie. En une seconde tout était devenu rassurant, clair et délicieux--La tristesse? Evanouie! Ah! vieux sortilège du printemps. Toujours le même! et toujours si nouveau! Je te reconnaissais à tes bouffées, à ton feu, frais et pénétrant, à ce sucre que tu mets dans le sang et dont tu saupoudres les lèvres où notre langue le fait fondre, en y savourant un goût ressuscité de fleur et de baiser. Tout ce qui allait, venait, tout ce qui me croisait et m'appelait semblait y dépenser exprès une incroyable allégresse. On mettait à marcher, à courir, à voler à son but, une hâte gaie. Et il y avait aussi dans cette activité comme une soif d'évasion. Rien ne bougeait qui ne le fît avec des façons de partir. Et de cette course dirigée, de ces impatiences, de ces élans pris tout à coup vers une invisible fontaine, de cette précipitation fiévreuse, élégante et frivole, de la candide volupté du ciel et de la douceur des arômes et des caresses de la brise, de tout ce grand étourdissement que rien ne peut exprimer qu'un soupir, un soupir d'extase découragée, de tout cela sortait et se formait une idée haletante, impérieuse, prompte, résumée par ce mot bref: la fugue.
Oui, la Fugue! Elle était partout. On la respirait, on la buvait. Elle traversait de part en part les cerveaux comme une flèche de laque rouge. Elle filait et sifflait avec le cri pointu et arraché de l'hirondelle et les poumons se dilataient pour avaler plus de vent. La Fugue! C'est-à-dire fuite. Fuir, mais fuir sans frayeur, sans craindre de se retourner,... et fuir en avant, bondir dans le temps et l'espace, et partir... oh! pas tout à fait, «partir un peu» seulement, en sachant bien qu'on reviendra. Que ce mot renferme d'attraits, qu'il secoue de charmes! Qu'il fait flotter de beaux rubans! Il a les diverses couleurs de la décision, de la brusquerie, du caprice et du rêve. Il est preste, aimable, et tout trépidant d'impromptu. En le lançant pour le rattraper, tel qu'un jongleur qui taquine une boule d'or, nous voilà déjà sur une pointe de pied ainsi que des masques de comédie italienne et des noms de ville, qui sont à eux seuls des carillons de bonheur, nous tintent aux oreilles: des Naples, des Florence, des Rome, des Grenade. Nous perdons la tête... à nous retrouver dans la glace avec nos yeux d'hier, si hardis de jeunesse, car nous sommes toujours jeunes, quel que soit notre âge, tant que nous ranime et nous prend cette printanière folie du départ. Les vieillards n'ont pas de fugue.
Mais, dès qu'elle est en nous, la fugue nous remplit. Elle parle, avec une voix défaillante de rendez-vous, ou bien elle chante... elle exhale en une amoureuse langueur des refrains de vieilles romances, des tours Saint-Jacques écoutées les yeux mi-clos, la main sur la poitrine, en modulant des souvenirs. Ou bien elle commande: «Allons! pars! obéis!... Va-t'en...! Laisse là, pour un jour, ta chambre et ta maison... et viens avec moi, prends ma main, ma main qui brûle et veut s'enfoncer dans la tienne. En route! Je suis la fugue.»
--Mais où irons-nous? Peu importe. Jamais bien loin pourtant, car la fugue est rapide, et, comme le plaisir d'amour, ne dure qu'un moment. Ses minutes sont comptées d'avance. Elle est faite d'une joie dévorante et pressée, comme dérobée, volée à l'étalage. Ainsi, que ce soit ici ou là, en un pays étranger tout proche, ou dans un coin de France, la fugue sera folle et presque irréfléchie, un billet de bonheur d'aller et retour. Nous partirons tels que nous sommes, sans autres bagages que nous, et, pour plus de logique, nous devrions être nu-tête, ainsi que pour la récréation, quand nous étions enfants. Ah! cette joie de s'échapper, de «s'enlever» soi-même comme si l'on s'emportait et se prenait en croupe, afin de galoper ailleurs! Et n'est-ce pas, en dehors du printemps, par toute saison, le besoin perpétuel de l'homme, agité sans cesse d'autre chose?
Le lecteur sédentaire qui reste des longues journées plongé dans le livre et qui ne sent plus glisser et couler sur lui le sable des minutes, s'imagine, parce qu'il demeure assis dans le même fauteuil, qu'il ne change pas de place,... il en change constamment, il n'est jamais là où nous croyons et où il croit être... il se dévore en perpétuelles fugues et le volume, le chapitre, la page, la ligne et le mot l'emportent loin du monde. On peut même dire, sans se tromper, que les immobilisés sont les plus grands fugaces. Tous ceux que retient une chaîne ne cherchent qu'à la tendre et veulent la briser... ou l'alléger alors et la supprimer par les escapades de l'esprit. Les grands chemins parcourus sont ceux que, du fond d'un siège usé, combine et recommence le paralytique. Le sommeil est la fugue nécessaire imposée par la tyrannie de la nature, et l'insomnie est une espèce d'échappement maladif et tourmenté de la pensée.
Prenez la vie, la vie quotidienne; vous y verrez que, du matin au soir, tout n'est que fugue ininterrompue, sans répit. Les courses, les visites, les besognes, les prétendues obligations, tous les plaisirs, toutes les affaires, graves ou sans conséquences,... fugues... fugues. La prière en est une et le baiser une autre. La charité, l'exercice du devoir, le sacrifice et le dévouement sont des fugues... car rien de tout cela ne s'opère dans le calme ni la lenteur. Il faut de la fièvre et de la poussée en tout ce que l'on fait avec un grand désir, et l'ardeur a pour loi d'être toujours rapide. Les voyages sont de vastes fugues, et les absences de petites. Et aussi les ivresses et les recueillements. Et à chaque minute, à chaque seconde, la fugue est là qui, se jetant dans les roues d'une autre, nous dérange et nous ravit, en plein travail, au milieu de la conversation, pendant le morceau de piano, quand le comédien parle au théâtre, ou qu'au salon chante la femme, à tout moment, à tout venant...
Nos goûts et nos appétits... Nos courses chez les antiquaires, fugues dans le passé, randonnées dans les plaines du vieux temps... chasses à travers les forêts de l'histoire... Comme on se dit tout à coup, avant le dîner: «Une idée... Si nous allions à Versailles... ou simplement au Bois... le tour des lacs, et puis nous rentrerons,...» l'altéré d'autrefois se prescrit soudain: «Une idée... si nous allions aujourd'hui, tout de suite au quinzième? Non... au dix-huitième?...» Ou bien il pense: «Demain j'irai à l'Empire» comme on décide: «Je pars pour Anvers.» Et tout cela, tout ce qui est fugue a pour caractère aussi de s'accomplir dans une sorte de joie et de contentement vif et soutenu... Il n'existe pas de fugues tristes, de fugues d'ennui. Ces mots-là ne vont pas ensemble, tandis que fugue amoureuse est, au contraire, une locution qui semble tout particulièrement juste et réussie. Venise, Séville, sont des villes qui n'ont pour raison d'être que de marquer les points et les étapes des fugues passionnées, et le bon dimanche hebdomadaire, avec son repos honnête, ou ses risibles tours du monde de banlieue, est la fugue des pauvres gens, des travailleurs de semaine.
Ainsi de fugue en fugue, de balade en balade de nos pensées et de nos
coeurs qui nous lâchent, nous trompent, nous faussent compagnie,
s'échappent toujours, et ne sont du matin au soir qu'en partance, nous
gagnons, sans nous en apercevoir, en la redoutant, l'heure de la mort,
la dernière fugue. Et quand je dis: la dernière! Qui sait? Quelles
fugues nous attendent? Les immenses fugues d'après la vie...
Henri Lavedan.
(Reproduction et traduction réservées.)
Notre confrère M. Raymond Recouly, le brillant rédacteur des articles de politique étrangère au Figaro, reçu en audience au palais de Madrid par le roi Alphonse XIII avant son départ pour Paris, a pu longuement s'entretenir avec lui de toutes les questions qui intéressent et rapprochent la France et l'Espagne, des relations unissant les deux pays, de leur oeuvre commune au Maroc. Le Figaro a reproduit ces déclarations. M. Raymond Recouly, dans l'article qu'on va lire, trace pour nos lecteurs, d'après ses impressions personnelles, un vivant portrait du souverain qui a été, cette semaine, notre hôte.
Sa Majesté Alphonse XIII, roi d'Espagne, est assurément, et de beaucoup, le souverain étranger le plus populaire en France, depuis la mort d'Édouard VII. Dans notre pays où l'on apprécie par-dessus tout la crânerie et la bravoure, qui donc se montra aussi brave, aussi crâne que lui? Les «risques du métier royal» ne sont pour aucun autre aussi grands, aussi quotidiens que pour lui. Il les assume avec un sang-froid, un calme, une tranquillité parfaits, dédaigneux des lettres de menace qui lui parviennent par centaines, refusant obstinément de modifier, sous aucun prétexte, quoi que ce soit du programme des cérémonies.
C'est chez nous, au cours de son premier voyage officiel, à Paris, en 1905, qu'il reçut, si l'on peut dire, le baptême du feu. On sait sa fière contenance au moment de l'attentat de la rue de Rohan, le jeune roi, debout dans la voiture, disant à l'escorte, avec un geste calme: «Ce n'est rien, messieurs, rassurez-vous!» puis se penchant hors de la portière et agitant son casque à long plumage blanc pour montrer aux personnes de sa suite qu'il n'avait aucun mal.
Juste une année plus tard, jour pour jour, au retour de l'église où venait d'être célébré son mariage avec la princesse Ena de Battenberg, ce fut l'effroyable attentat de la calle Mayor. L'anarchiste Morales, du second étage qu'il avait tranquillement loué, sans que nul cherchât à le surveiller et à l'inquiéter, jette une énorme bombe dissimulée dans un bouquet de fleurs sur le carrosse de gala où se trouvent le roi et la reine. Depuis quelque temps, le sereno, le pittoresque veilleur de nuit, dans les rues madrilènes, avait remarqué un homme qui, du haut d'un balcon, lançait des oranges dans la rue: c'était Morales qui se faisait la main et s'entraînait à ne pas manquer son coup. La bombe tua ou blessa une quarantaine de personnes. Le couple royal, par le plus extraordinaire des miracles, n'eut pas la plus légère blessure.
Et il y a quelques semaines à peine, tandis que le roi, précédant un imposant cortège d'officiers, de généraux, s'en revenait à cheval du champ de manoeuvres où les recrues avaient prêté le serment, un homme s'approche et lui tire, à bout portant, trois coups de revolver que, seule, sa merveilleuse présence d'esprit lui permet d'éviter.
Comment refuser son admiration à un courage si tranquille, à une si parfaite maîtrise de soi?
*
* *
Il ne tiendrait pourtant qu'au roi, s'il laissait prendre les précautions que son entourage ne cesse de lui demander, de diminuer, dans une proportion considérable, les dangers auxquels il s'expose. On le supplie, par exemple, de sortir toujours encadré d'une escorte qui tiendrait à une certaine distance la foule. Il s'y est jusqu'ici obstinément refusé. A tout instant, au cours des cérémonies ou des voyages, il est accoutumé à recevoir des placets et des suppliques que les intéressés, ayant toute liberté de s'approcher, lui tendent de la main à la main. Le moyen, dans ces conditions, d'organiser une surveillance tant soit peu efficace?
Les Espagnols ont un proverbe qui revient dans leur bouche très fréquemment: Lo que debe ser no puede faltar (ce qui doit être ne saurait manquer).
Il y a quelques traces de cette résignation dans la bravoure insouciante et un peu fataliste du roi. Il y a ce sentiment que, quoi qu'on fasse, en dépit des mesures les plus minutieuses, les plus strictes, la part d'imprévu restera malgré tout très grande. Et, alors, à quoi bon? Pourquoi donc se gâter, s'empoisonner l'existence? Ne vaut-il pas mieux s'en remettre un peu à la Fortune qui s'est montrée et qui continuera, souhaitons-le, à se montrer si bienveillante envers un homme ignorant absolument ce que c'est d'avoir peur?
*
* *
Dans son magnifique et imposant palais de Madrid, la suprême parure de sa capitale, j'ai eu tout récemment l'honneur d'être reçu, en audience particulière, par Sa Majesté Alphonse XIII. Les grandes cours spacieuses, les longs couloirs où se tiennent, immobiles, des hallebardiers, pleins de prestance, les salons où des tapisseries inestimables, les plus belles qui soient au monde, voisinent avec les portraits de Goya, tout cela proclame les longs siècles de gloire de cette puissante monarchie espagnole.
Et, certes, le contraste n'est pas petit entre ce vieux palais et ce jeune souverain, l'un, représentant la fière Espagne obstinément attachée à ses traditions et comme murée dans son originalité, l'autre, épris au contraire de toutes les nouveautés.
Cte de Romanonès. S. M. Alphonse XIII.
Le roi d'Espagne et son président du Conseil.
De haute taille et très élancé, le regard vif, le geste prompt, avec une extraordinaire souplesse de mouvements qui dénote un corps entraîné à tous les exercices, à toutes les fatigues, le roi donne une grande impression de vigueur et de santé. Tout ce qu'on a raconté sur sa faible constitution, sur les maladies qui le guettent, doit être décidément relégué au rang des fables. Le régime minutieux et bien réglé auquel il fut soumis dès sa naissance, les soins vigilants de la plus dévouée des mères, le grand air, la pratique des sports, ont fait merveille.
Il faut une santé peu commune pour déployer une si prodigieuse activité, pour mener, sans défaillance, une existence aussi bien remplie. Les affaires publiques, les conseils de ses ministres, les réceptions, les audiences, la chasse, le yachting, l'automobile, etc., le roi prétend conduire tout cela de front. Il est notamment un enragé joueur de polo. Il y a quelque temps de cela, au cours d'une partie très mouvementée, son poney s'abattit et la tête de celui qui le montait vint donner si rudement sur le sol qu'Alphonse XIII demeura plus d'un quart d'heure évanoui. Sa famille, son entourage, que cet accident avait remplis d'inquiétude, désireux d'en éviter un pareil à l'avenir, le suppliaient de renoncer pour toujours au polo. «C'est une des choses qui m'amusent, qui me récréent le plus, répondit le roi. Pourquoi donc voulez-vous m'imposer pareille privation? La vie n'est plus possible si, par crainte des accidents, il faut renoncer à tout ce qui en fait le charme!»
Le roi est également passionné pour l'automobile. Il est un excellent chauffeur et il adore conduire lui-même. Au moment de son mariage, les automobilistes espagnols et étrangers lui offrirent une fête au Pardo, durant laquelle il fut accueilli par des acclamations enthousiastes. On m'a raconté, à cet égard, une anecdote assez curieuse. Alphonse XIII, toujours désireux d'essayer de nouvelles machines, en achète un très grand nombre dont il se défait ensuite assez rapidement. L'une d'elles ne lui donnant qu'une médiocre satisfaction, il avait chargé son mécanicien de la vendre à n'importe quel prix. Quelques jours après, comme il courait les routes, aux environs de Madrid, il aperçoit de loin une voiture en panne; à mesure qu'il s'approche, il reconnaît que c'est celle dont il s'est débarrassé; par-dessous, étendu à plat ventre, dans la poussière, soufflant et geignant, le malheureux acquéreur essayait, mais en vain, de réparer ce qui était irréparable. Que faire? Le roi, relevant son col et rabattant sa casquette, passa à la quatrième vitesse!...
*
* *
Au cours du long entretien qu'il m'accorda, Alphonse XIII me parla du Maroc où l'Espagne et la France possèdent des intérêts solidaires et défendent la même cause. Son grand désir est que l'action des deux pays soit concertée, de manière à ce que les efforts, les sacrifices de l'un bénéficient des efforts, des sacrifices de l'autre. Il me parla surtout de l'armée, de la nôtre et de la sienne. Il connaît un certain nombre de nos officiers; nul, plus que lui, ne rend hommage à leurs rares qualités, à leur énergie, à leur abnégation. Par ses soins, sous son impulsion de tous les jours, l'armée espagnole est en train de subir une très importante réorganisation qui aura pour effet d'accroître sensiblement son nombre et sa valeur. Le service obligatoire vient d'être institué; on a supprimé la faculté des remplacements et des rachats qui éloignaient de la caserne l'élite du pays, tous les jeunes gens des classes bourgeoises et aristocratiques.
D'ailleurs, ce n'est pas seulement dans l'armée qu'on peut constater de très sérieux progrès. Au point de vue économique, pour ce qui est du calme, de la tranquillité du pays, de la solidité du régime, les améliorations sont indéniables. Quiconque revient maintenant en Espagne, après un intervalle de quelques années, note, à tout instant, les heureux résultats de ces améliorations. L'accroissement de la population est considérable, en dépit d'une émigration intense dans l'Amérique du Sud, en Algérie, au Maroc. Cette émigration n'appauvrit point le pays autant qu'on pourrait le croire: un assez grand nombre d'émigrés retournent dans la mère patrie, après fortune faite. Ils y apportent leurs capitaux, leur activité, leur intelligence qui s'est ouverte aux choses de l'étranger. La politique espagnole se fait plus stable et plus saine. Or, l'un des facteurs de cette politique, le facteur essentiel, c'est la personnalité, la popularité du roi. De cela, tous les Espagnols qui sont sincères, tous les étrangers connaissant bien l'Espagne sont unanimes à convenir.
En même temps qu'elle développe aussi sa puissance et sa richesse, l'Espagne éprouve tout naturellement le désir, le besoin de sortir de son isolement. Elle veut ne plus rester isolée, confinée dans sa péninsule. La majorité des hommes politiques et du public incline nettement vers une entente plus étroite avec l'Angleterre et la France.
Le roi Alphonse XIII, par tout ce qu'on sait de son orientation, de ses
sympathies personnelles, ressent beaucoup plus vivement qu'aucun de ses
sujets ce désir-là. C'est justement ce qui donne à son séjour parmi nous
une importance, une signification exceptionnelles. C'est une raison de
plus pour qu'on se réjouisse de l'accueil si chaleureux que Paris vient
de faire à ce très sympathique et très attachant souverain!
Raymond Recouly.
Ce numéro étant mis sous presse peu d'heures après l'arrivée du souverain à Paris, c'est dans le suivant que nous pourrons rendre compte des visites royales à Fontainebleau et à Saint-Cyr.
La revue de la garnison de Paris, sur l'esplanade des
Invalides: le général Michel ouvre le défilé et salue la tribune
officielle.
LES FÊTES MILITAIRES EN L'HONNEUR DU ROI D'ESPAGNE.--A
Fontainebleau: l'inspection des officiers de l'École d'artillerie.
Mercredi, jour de l'arrivée du roi d'Espagne à Paris, les acclamations, très chaleureuses, se sont partagées entre le souverain, notre hôte, le président de la République française et les troupes de la garnison de Paris, qui, mise tout entière sur pied, des Champs-Elysées aux Invalides, défila ensuite sur l'Esplanade devant le souverain. Le lendemain, jeudi, qui fut la journée de Fontainebleau, Alphonse XIII reprit contact avec notre armée que, cette fois, on lui présenta en manoeuvre d'abord dans la vallée de la Solle où évoluèrent deux brigades de cavalerie, ensuite au polygone où furent exécutés d'intéressants exercices d'artillerie en campagne.
LE DISCOURS DE M. BARTHOU A CAEN.--«... Notre grand pays
veut la paix, mais seulement la paix qui s'accorde avec sa fierté et sa
dignité, non la paix née de la peur!»
A la droite de M. Barthou: M. Perrotte, maire de Caen; M. Klotz,
ministre de l'Intérieur; M. Hendlé, préfet du Calvados; à sa gauche: M.
Pichon, ministre des Affaires étrangères; M. Chéron, ministre du
Travail, député du Calvados.--Phot. Matin.
Dimanche dernier, à Caen, au banquet organisé en l'honneur du Congrès des Petites Amicales d'instituteurs et des oeuvres postscolaires, M. Louis Barthou, président du Conseil, a prononcé le grand discours que l'on attendait de lui à la veille de la rentrée des Chambres et auquel les graves problèmes à résoudre d'urgence, tels que la loi militaire et la loi électorale, en même temps que les inquiétudes internationales de l'heure présente, devaient donner une portée exceptionnelle.
Donc M. Louis Barthou a été très écouté, et il a été aussi très applaudi, car on lui a su gré de se placer résolument sur le terrain national. Le président du Conseil, en effet, dans un éloquent appel au pays, a insisté avec force sur le devoir national qu'impose à tous la situation extérieure. Et, constatant l'élan et l'union patriotiques qui se sont manifestés, chez nous, aux heures graves, il a pu dire:
«Ce grand pays veut la paix, mais seulement la paix qui s'accorde avec sa fierté et sa dignité, non la paix née de la peur.»
D'où la nécessité de renforcer nos effectifs par le service de trois ans:
«Il ne s'agit pas de céder à une sorte de folie contagieuse des armements. Il s'agit de se défendre... Quand le devoir prend la forme d'un intérêt national, il faut tout simplement faire son devoir. Ce devoir, le gouvernement l'accomplit en affirmant, dès maintenant, sa volonté de maintenir sous les drapeaux la classe libérable au 1er octobre prochain.»
Avant de faire ces importantes déclarations, le président du Conseil, envisageant la situation politique intérieure, avait affirmé: «La République ne peut pas désarmer devant ses adversaires, mais nous nous refusons à des agressions ou à des vexations indignes de républicains conscients de leurs devoirs et de leur force.»
Enfin, parlant de la loi électorale, M. Louis Barthou a déclaré nettement que, «s'il dépend du gouvernement, la consultation électorale de 1914 ne se fera pas au scrutin d'arrondissement.»
La question de Scutari est en voie de règlement, mais l'éventualité d'une occupation de l'Albanie par l'Autriche-Hongrie et l'Italie n'est pas encore définitivement écartée et un très grave problème reste ainsi posé devant l'Europe. Comme on va voir, il est en connexion étroite avec celui du partage entre les alliés des territoires conquis par eux sur les Turcs.
Quelles seraient d'abord les conséquences générales d'une installation austro-italienne en Albanie, que personne n'aurait la naïveté de supposer devoir être provisoire? Les unes sont évidentes, les autres presque inévitables.
Conséquences certaines: l'anéantissement de l'oeuvre de la Conférence de Londres qui a décidé le principe d'une Albanie autonome sous le contrôle et la garantie des six grandes puissances; la destruction de l'équilibre naval adriatique et, par conséquent, méditerranéen, ce qui porterait un préjudice grave à la France et à l'Angleterre; l'abandon du principe: «Les Balkans aux peuples balkaniques», qui, depuis la guerre d'Orient, a été la base de l'entente européenne.
Conséquences presque inévitables: par l'effet de la violation du principe: «les Balkans aux peuples balkaniques», la nécessité pour les voisins de l'Albanie, les Monténégrins, les Serbes et les Grecs, de s'opposer par la force à l'occupation austro-italienne (or, l'idée de derrière la tête des Autrichiens est de trouver un prétexte pour écraser la Serbie sans que la Russie intervienne); l'ouverture de la «politique des compensations» entre les grandes puissances aux dépens de la Turquie asiatique. En effet, si deux grandes puissances européennes, l'Autriche-Hongrie et l'Italie, s'agrandissaient aux dépens de la Turquie d'Europe, tous les précédents historiques obligeraient à envisager que les quatre autres grandes puissances, la Russie, l'Allemagne, l'Angleterre et la France, voudraient obtenir des avantages compensateurs qui ne pourraient être trouvés qu'aux dépens de l'empire ottoman d'Asie.
Écoles, églises et monastères grecs en Epire.
Tracé de frontière demandé par la Grèce. Tracé de
frontière proposé par l'Italie.
Ancienne frontière grecque. Siège de Métropolite grec.
Villages grecs pillés
et incendiés par les Albanais. Écoles grecques. Eglises. Monastères
grecs.
Écoles, églises, monastères grecs laissés hors du tracé de
frontière demandé par la Grèce, dans la région au nord de Valona et à
l'ouest de Berat.
Enfin, et c'est le point sur lequel nous allons insister, l'intervention austro-italienne en Albanie pourrait déterminer une rupture décisive de l'entente balkanique ou, au contraire, aider à la solution des difficultés du partage entre les alliés.
*
* *
Il est bien connu que des dissentiments graves existent à cet égard entre les Serbes, les Grecs et les Bulgares, enthousiasmés par l'étendue de leurs victoires qui ont dépassé toutes leurs prévisions.
Précisons donc les raisons des conflits d'intérêt entre les alliés afin de discerner, en relation avec le projet d'intervention austro-italienne en Albanie, quelles transactions sont susceptibles de permettre le maintien du bloc balkanique.
Elles ont trait à la fois à l'Epire, à la Macédoine et aux îles de la mer Égée.
En Epire, la Grèce se heurte à l'Italie. Les cartes ci-dessous et ci-contre montrent à quel point les divergences sont grandes entre les gouvernements de Rome et d'Athènes, combien, par conséquent, les Grecs doivent être émus par le projet d'intervention italienne dans le sud de l'Albanie et dans la région même qu'ils revendiquent. Forts de leur droit, ils déclarent formellement qu'ils considèrent leurs conquêtes comme définitives et que, si l'Italie veut les chasser d'Epire, ils résisteront par la force. «D'ailleurs, disent-ils, la partie de l'Epire que nous revendiquons est habitée par une forte majorité hellène. Qu'on fasse un plébiscite, on verra bien.» Le carton ci-dessous indiquant les nombreuses écoles, églises et monastères qu'ils ont en Epire suffit à démontrer que les Grecs ne courent aucun risque en proposant une consultation des populations et à quel point les prétentions italiennes sont injustifiées.
Le différend qui existe entre les Hellènes et les Bulgares est également très dangereux.
Pour les Grecs, il y a deux questions qui ne se posent même pas: celle de la péninsule chalcidique qui est entièrement grecque et celle de leur maintien à Salonique (Thessalonique en grec).
«Aucun traité avant la guerre n'a réglé entre nous et les Bulgares, disent les Grecs, le partage des territoires conquis; nous avons pris Salonique les premiers. Cette ville est placée dans notre sphère d'action géographique. Nous prétendons y rester. Notre roi Georges, en mourant à Salonique, a consacré définitivement cette cité terre hellénique. Nous occupons la ville avec près de cent mille hommes qui, actuellement, se retranchent stratégiquement aux alentours. Si les Bulgares veulent nous en chasser, il faudra qu'ils agissent par la force.»
Maximum des prétentions grecques.
Le grisé indique la région que réclame la Grèce et que lui contestent
l'Italie d'une part, la Bulgarie et la Serbie de l'autre.--Pour la
signification des lignes de points, traits et croix, se reporter à la
carte générale plus haut.
Remarquons encore que les prétentions helléniques dépassent de beaucoup Salonique. En principe, les Grecs les soutiennent ainsi. «L'extension de la Bulgarie en Thrace va aller bien au delà de tout ce que l'on pouvait supposer. Puisque nous allons abandonner aux Bulgares 400.000 Grecs, au moins, sans aucun espoir de retour, au nom de l'équilibre balkanique, nous devons avoir une compensation importante en Macédoine.»
Iles qui faisaient partie de l'empire turc, actuellement
occupées par l'Italie (noms soulignés d'un trait-double) ou par la Grèce
(noms soulignés d'un trait simple).
Les premières comptent, sur 118.000
habitants. 102.000 habitants grecs (25.000 à Rhodes, 18.000 à Kolymnos,
16.000 à Symi, 10.500 à Kos, etc.) et 16.000 Musulmans; les secondes,
sur 325.000 habitants, 300.000 Grecs (115.000 à Mytilène, 70.000 à Chio,
47.000 à Samos, 24.500 à Lemnos, 12.000 à Thasos, 12.500 à Nikaria,
etc.), et 25.000 Musulmans.
(Agrandissement)
Carte montrant les difficultés du partage, entre les
alliés balkaniques, des territoires conquis.
Frontière extrême demandée par la Grèce en Epire et en
Macédoine Frontière gréco-albanaise proposée par l'Italie.
Transaction qu'accepterait la Grèce en Macédoine.
Frontière que le traité serbo-bulgare reconnaissait à la
Serbie Frontière serbo-bulgare soumise à l'arbitrage de
l'empereur de Russie Frontière proposée par la Serbie.
Frontière que le traité serbo-bulgare reconnaissait à la
Bulgarie Frontière extrême réclamée par la Bulgarie.
Frontière albanaise proposée à Londres.
Anciennes frontières des Etats balkaniques.
Partant de ce point de vue, le gouvernement d'Athènes, au cours des hostilités, a proposé à celui de Sofia comme base de partage des territoires gréco-bulgares une ligne partant à l'est de Kavala et passant ensuite par Drama, Demir-Hissar, laissant au sud le lac de Dorijan, puis Monastir, pour aboutir à peu près au milieu du lac d'Okrida. Il est évident que ce tracé exprime un maximum des prétentions grecques qui n'a d'ailleurs aucune chance d'être accepté par la Bulgarie. On le sait bien à Athènes, aussi a-t-on en vue deux transactions. L'une est indiquée par une ligne partant du fond du golfe d'Orfano, passant au-dessus du lac de Dorijan et s'infléchissant ensuite au sud de façon à laisser Monastir aux Serbes pour aboutir au milieu du lac de Prespa. Enfin, ultime transaction, dont les Grecs ne parlent encore que sans précision, les Hellènes se contenteraient d'avoir autour de Salonique un territoire suffisamment étendu pour assurer la défense stratégique de la ville. Mais c'est là, semble-t-il, le minimum irréductible des prétentions des Grecs. «Sinon, disent-ils, nous subirons s'il le faut la guerre.»
A la vérité, étant donné la tension des esprits, il suffirait d'un incident fâcheux pour compliquer encore la situation. A Nikaia, il y a peu de temps, un véritable combat s'est engagé entre Grecs et Bulgares; et, dans le triangle Sérès, Kavala, golfe d'Orfano, les troupes des deux pays alliés sont toujours en contact dangereux, les Bulgares occupant le nord du triangle et les Grecs toute la partie sud bordant la mer.
A propos des îles, les Grecs ont affaire aux grandes puissances. Aucune difficulté en ce qui concerne la Crète; elle leur est accordée. Mais ils réclament, en outre, la possession définitive de toutes les îles de la mer Egée, y compris celles occupées par l'Italie pendant la guerre de Tripolitaine. Comme ils ne peuvent pas agir directement contre les Italiens pour les expulser, les Grecs s'en remettent à l'action de la Triple Entente, qui a déjà exprimé l'opinion que ces îles devaient revenir à la Grèce, comme ayant une population grecque. Quant aux îles occupées par la Grèce et qui se trouvent près de la Turquie d'Asie et des détroits, les puissances de la Triple Alliance les refusent à la Grèce sous prétexte de ne pas mettre en danger la puissance turque en Asie, mais les Grecs font remarquer que ces îles ont une population hellène et que ce sont les seules qui présentent pour eux un réel intérêt, puisque, en dehors de ces îles, il ne s'agit que de quelques rochers inhabités. Deux îles surtout tiennent au coeur des Hellènes: Mytilène, avec 115.000 Grecs, et Chio avec 70.000.
Le conflit entre Serbes et Bulgares est aussi aigu que celui entre Grecs et Bulgares. Il est rendu plus délicat encore par l'existence d'un traité d'alliance sur l'interprétation duquel on n'est pas d'accord actuellement à Belgrade et à Sofia.
«Il faut bien comprendre, disent les Serbes, que Je traité du 12 mars 1912 n'envisageait pas exclusivement une guerre devant amener un partage définitif des territoires turcs. Quand nous avons signé, il s'agissait surtout d'obtenir de la Turquie l'application des réformes promises à la population macédonienne par le traité de Berlin, et, par conséquent, de nous mettre d'accord sur la délimitation éventuelle des futures provinces autonomes. Toutefois, il était prévu que l'action diplomatique pourrait échouer et qu'une guerre éclaterait. Dans ce cas, on a envisagé le partage de la Macédoine. Voici comment on a procédé. Le traité serbo-bulgare a d'abord délimité deux zones de territoires incontestés, l'une serbe, l'autre bulgare, la région située entre ces deux zones formant le territoire contestable. Comme le montre la carte, la région bulgare incontestée se trouvait à l'est de la ligne suivant d'abord la chaîne des Rhodopes et ensuite la Struma pour aboutir au fond du golfe d'Orfano. La zone serbe incontestée était bornée par une ligne partant de la frontière serbo-bulgare, passant par les monts du Karadagh, du Char Planina, donc nous attribuant tout le vilayet de Scutari, sous la seule condition que nous, Serbes, en fissions la conquête effective, et aboutissant à l'Adriatique bien au sud de Durazzo.
«Quant à la zone contestable, elle avait, elle-même, été délimitée dans une certaine mesure par une ligne partant du point de jonction des frontières serbo-bulgares et passant ensuite à l'ouest de Kuprulu (Velès) pour aboutir au sommet du lac d'Okrida. Toute la portion à l'est de cette ligne était considérée comme plutôt bulgare, mais il était entendu qu'en cas de contestation on recourrait à l'arbitrage de l'empereur de Russie.
«Voilà ce que disait le traité. Dans l'intérêt commun des alliés et spécialement des Bulgares, nous avons fait beaucoup plus que notre accord ne nous le prescrivait. Nous avons mobilisé 360.000 hommes au lieu de 150.000. Les Bulgares devaient même nous aider avec 100.000 hommes dans la région du Vardar. Nous avons dû nous en passer. N'est-il pas évident que, du fait de son plus grand effort en Macédoine, la Serbie a puissamment soulagé la Bulgarie qui a pu employer toutes ses forces dans la vallée de la Maritza et marcher sur Tchataldja? Aurait-elle pu le faire si elle avait envoyé 100.000 hommes en Macédoine?
«Il y a encore un point fort important à mettre en lumière. D'après notre traité d'alliance, la Bulgarie était tenue d'envoyer au secours de la Serbie 200.000 soldats bulgares, si elle était attaquée par l'Autriche. Cédant aux conseils des puissances amies, nous avons évité un conflit avec l'Autriche. Nous avons ainsi renoncé au vilayet de Scutari avec Durazzo que nous avaient abandonné les Bulgares et, comme conséquence, nous ne leur avons pas demandé leur concours contre l'Autriche. Les Bulgares ne doivent-ils pas nous indemniser de notre renonciation à un droit qui a entraîné l'abandon de nos prétentions essentielles sur la côte de l'Adriatique? Rotez encore que la guerre a été prolongée pour nous d'au moins cinq mois dans le seul intérêt de la Bulgarie. Après la bataille de Lulé-Bourgas, la paix aurait été possible si les Bulgares n'avaient pas maintenu toutes leurs exigences. Or, nous les avons aidés à les soutenir. Alors que notre traité ne nous y obligeait nullement, nous leur avons donné 50.000 hommes pendant toute la durée du siège d'Andrinople. Nous avons aussi fourni du matériel de siège et supporté des dépenses supplémentaires.
Maximum des prétentions serbes. Le grisé indique les territoires que la Serbie, ayant dû renoncer au nord de l'Albanie, réclame en Macédoine et que lui contestent les Bulgares et les Grecs.--Pour la signification des lignes de points, traits et croix, se reporter à la carte générale de la page précédente. |
Maximum des prétentions bulgares. Le grisé indique les territoires que les Bulgares réclament à l'ouest en vertu de leur traité avec les Serbes, et au sud en contestant aux Grecs Salonique et une partie de la Macédoine.-Pour la signification des lignes de points, traits et croix, se reporter à la carte générale de la page précédente. |
Enfin, dernière considération, grâce à notre concours, les Bulgares obtiennent beaucoup plus de territoires qu'ils ne l'espéraient eux-mêmes.
«Pour tous ces motifs, nous nous adressons à la Bulgarie et lui proposons, dans l'intérêt de l'entente balkanique, de partager les territoires conquis non pas d'après un traité dont nous avons largement outrepassé les obligations, mais d'après l'équité. Or, l'équité n'est-elle pas indiquée par une ligne suivant à peu près les territoires occupés par nous, Serbes; par exemple, par une ligne partant au sud-est d'Egri-Palanka et laissant Istip aux Bulgares, coupant le lac de Borijan et allant ensuite rejoindre la frontière des Grecs avec lesquels nous nous arrangerons toujours, bien que, comme nous, ils prétendent à Monastir, et que nous ne soyons pas encore d'accord sur d'autres points.
«En raison de nos énormes sacrifices de toute nature, les Bulgares doivent nous écouter et discuter avec nous. S'ils ne le veulent pas, c'est qu'ils envisagent la possibilité de nous faire la guerre.»
Comme on voit, les Serbes comme les Grecs tiennent le même raisonnement aux Bulgares et disent en somme: «Pourquoi quitterions-nous les positions que nous occupons?» Il résulte de cette identité d'intérêt et de situation entre Serbes et Grecs que ceux-ci seraient amenés à résister d'accord aux Bulgares, si finalement ceux-ci en appelaient aux armes, résultat qu'évidemment s'efforceraient d'obtenir l'Autriche et l'Italie si elles intervenaient en Albanie.
Ces multiples arguments n'ont pas encore eu raison de la ténacité des Bulgares. Il y a peu de jours, le gouvernement de Sofia n'avait pas répondu à la demande officielle du cabinet de Belgrade de négocier et de discuter, mais officieusement les Bulgares tiennent aux Serbes le langage suivant:
«Certes, vous vous êtes conduits envers nous en alliés très loyaux pendant la guerre. Nous le reconnaissons volontiers. Vous en avez l'honneur. Mais rien ne saurait modifier la valeur de notre traité auquel nous attribuons un sens étroit et limitatif, et qui, selon nous, prévoyait tous les concours que vous nous avez donnés. Nous prétendons donc à la possession des territoires situés à l'est de la ligne tracée par le traité, donc de Monastir et de Kuprulu (Vélès).»
Aux Grecs, les Bulgares disent:
«Non seulement nous considérons vos prétentions sur Serès comme exorbitantes et inadmissibles, mais pour nous il y a une question de Salonique. En Bulgarie, notre opinion publique très ardente considère depuis longtemps Salonique, dont l'hinterland est bulgare, comme le symbole de la Macédoine, et il nous est bien difficile de la faire revenir sur sa conviction que Salonique doit appartenir à la Bulgarie.»
Les Bulgares les plus excessifs voudraient non seulement Salonique, mais encore que la frontière gréco-bulgare fût ainsi tracée. Elle partirait de l'embouchure de la Vistritza, dans le golfe de Salonique, et finirait à la frontière gréco-albanaise près de Koritza. Les Bulgares auraient ainsi Jenidje-Vardar, avec son lac, Vodena, Ostrovo et son lac, Kastoria et son lac. Ils toucheraient ainsi à l'Albanie.
Les Grecs ne semblent nullement disposés même à discuter un pareil tracé.
Nos cartes montrent clairement à quel degré ces diverses prétentions maxima des alliés sont opposées et quelles possibilités elles ouvrent aux intrigues austro-italiennes. A première vue, ces prétentions paraissent tellement inconciliables qu'un conflit sanglant semble inévitable. Il y a cependant, malgré les efforts tripliciens à Sofia, de sérieuses raisons d'espérer que de larges transactions interviendront, car si, en Serbie, en Grèce et en Bulgarie, l'opinion publique, excitée au plus haut point, offre un terrain favorable aux puissances qui cherchent la division des Balkaniques, il se trouve heureusement à la tête de ces trois pays des hommes d'État aux qualités éminentes. Ils ont montré déjà trop de prévoyance et de hauteur de vues pour ne pas partir de cette vérité certaine que l'union seule des alliés a fait leur victoire dans la guerre, que leur entente seule encore permettra aux Etats balkaniques de tirer pendant la paix tous les fruits de leurs brillants succès.
Comprenant leur impérieux intérêt commun de défendre avant tout la formule «les Balkans aux peuples balkaniques», ils inclineront sans doute aux concessions mutuelles indispensables pour que la confédération balkanique puisse durer et devenir une grande force politique, économique et militaire.
Certes, les hommes d'État des Balkans, pour arriver à ce résultat, si souhaitable dans l'intérêt vital de leur pays, ont plus que jamais à lutter contre des influences extérieures qui travaillent à les brouiller à mort. L'Autriche, aidée de l'Allemagne et de l'Italie, va évidemment tout faire pour séparer les Bulgares des Serbes et des Grecs. Une guerre entre eux faciliterait singulièrement une occupation austro-italienne en Albanie; les Serbes et les Grecs étant pris entre deux feux. Elle comblerait, en outre, les voeux secrets de la diplomatie allemande, car elle empêcherait pour longtemps la réalisation de la confédération balkanique qui est un véritable cauchemar pour Vienne et pour Berlin.
Des hommes d'État aussi avisés que les souverains des Balkans et MM. Guéchof, Pachitch, Venizelos, ont trop «d'avenir dans l'esprit» pour ne pas comprendre la gravité décisive des prétentions austro-italiennes. Ils rechercheront sur la base de quels principes supérieurs les concessions mutuelles peuvent se faire. Ces principes, on peut les entrevoir. Il est de l'intérêt commun des Balkaniques qu'aucune autre puissance ne s'installe dans la péninsule et que les partages soient faits entre eux de telle sorte qu'aucun souvenir vraiment cruel ne puisse rester au coeur de l'un d'eux. Pour arriver à ce résultat satisfaisant, il convient que la répartition territoriale définitive laisse autant que possible chaque allié parfaitement indépendant dans sa sphère géographique.
Maintenant, quelles concessions réciproques peuvent être envisagées?
Il semble bien que les Bulgares seront amenés à faire aux Grecs le sacrifice de Salonique, puisqu'il ne saurait être évité sans guerre. Or, cette guerre odieuse entre alliés, au lendemain de la victoire, ne vaudrait certainement pas pour les Bulgares les avantages de toute nature qui peuvent résulter pour eux d'une entente avec les Grecs. D'ailleurs, si les Bulgares laissent définitivement Salonique aux Grecs, avec naturellement les territoires environnants nécessaires pour assurer la défense de la ville, ils ne se priveront d'aucun élément essentiel pour mettre en valeur les territoires de la Bulgarie considérablement agrandie. Bans Salonique, ville avant tout cosmopolite, où il y a fort peu de Bulgares, c'est le port qui est intéressant. Or, les Bulgares vont avoir sur la mer Égée plusieurs points où il est possible de faire d'excellents ports purement bulgares. A Kavala, notamment, la situation est admirable et on peut y créer de toutes pièces un port aussi bien approprié aux besoins de la marine de commerce que de la marine de guerre.
D'autre part, l'abandon de leurs prétentions sur Salonique permettrait peut-être aux Bulgares d'obtenir un autre résultat qui leur serait précieux et qu'ils souhaitent ardemment: la cession de deux îles occupées par les Grecs qui, par leur position géographique, conviendraient singulièrement à la grande Bulgarie; l'île de Thasos, qui paraît presque indispensable pour assurer l'avenir stratégique de Kavala; Samothrace, bien que plus éloignée du rivage, présente le même intérêt pour le futur port bulgare de Dédé-Agatch. Or, ces deux îles, occupées par la Grèce, ont une population grecque. Samothrace compte 3.600 Hellènes et Thasos 12.344. Il est bien évident que les Bulgares ne peuvent songer à obtenir ces îles des Grecs que s'ils font à ces derniers des concessions autour de Salonique. D'autre part, les Grecs n'ont pas d'intérêt à conserver deux îles qui seraient pour les Bulgares des objets trop tentants de constante convoitise.
Entre les Bulgares et les Serbes, il est souhaitable au plus haut point, d'une part que des deux côtés aucune mesure militaire ne soit prise qui puisse être considérée comme offensante et que les Bulgares, appréciant l'étendue et la diversité des sacrifices serbes, ne se montrent pas intransigeants et qu'en tous cas l'arbitrage, prévu avant la guerre, de l'empereur de Russie permette une entente durable entre Serbes et Bulgares qui, au cours des hostilités, ont eu tant de raisons de s'estimer réciproquement. Les Serbes, coupés de l'Adriatique, souhaitent naturellement de n'avoir à s'entendre qu'avec un seul État, la Grèce, pour assurer leur issue économique vers Salonique.
Les puissances de la Triple Entente ont des motifs trop puissants de vouloir la durée de l'union balkanique pour ne pas s'entremettre activement afin de maintenir l'accord des Balkaniques, surtout devant la menace de l'intervention austro-italienne, et pour faciliter les transactions indispensables au partage des territoires conquis sur les Turcs. C'est aux alliés, en cette heure si grave pour leur avenir, à faciliter la mission des puissances qui leur ont manifesté tant de sympathies, en leur faisant confiance, en s'abstenant de récriminations inutiles, en évitant le bluff des demandes exagérées indigne de leur cause, en gardant constantes chez eux l'estime et la reconnaissance réciproques qui doivent rester au coeur de ceux qui ont combattu du même côté, et pour une cause aussi sainte que la libération du séculaire joug ottoman.
Animés de cet esprit, les Balkaniques qui, après avoir triomphé de tant
de difficultés, grâce à une entente étroite, ont encore à assurer leur
avenir, feront bloc contre l'immixtion dans la péninsule de puissances
non balkaniques, si elle se produit, et ils comprendront finalement que,
selon notre proverbe, «une mauvaise transaction vaut mieux qu'un bon
procès.» Elle vaudra infiniment mieux surtout qu'une guerre fratricide
entre les alliés, qui ternirait, devant le monde entier et d'une façon
irrémédiable, la gloire jusqu'ici si grande de la magnifique épopée
balkanique.
André Chéradame.
LES FÊTES DE JEANNE D'ARC A PARIS.--Une procession
aux-flambeaux dans le parc des Franciscaines, impasse Reille. Phot. L.
Gimpel, sur plaque hypersensibilisée.
Célébrée, dans toute la France, avec une grande ferveur patriotique, la fête de Jeanne d'Arc a été marquée, à Paris, dimanche dernier, par de belles manifestations, qui se sont déroulées dans l'ordre et l'enthousiasme. Tandis que les façades des maisons, dans beaucoup de quartiers, s'étaient parées de guirlandes, de drapeaux, et d'étendards bleu et blanc, les statues de l'héroïne lorraine avaient été abondamment fleuries, et, devant les monuments bien connus de la place des Pyramides, de la place Saint-Augustin et du boulevard Saint-Marcel, ce fut dès les premières heures de la matinée un défilé d'imposants cortèges,--celui de la Ligue des Patriotes, conduit par son vaillant président M. Paul Déroulède, celui des ligueurs d'Action française et des élèves des grandes écoles et des lycées, celui des élus de Paris, auxquels s'étaient jointes de nombreuses sociétés.
Pour avoir attiré moins de foule, la cérémonie dont nous donnons ici une gracieuse image ne fut pas l'une des moins touchantes. Les Franciscaines, dont la communauté s'étend, non loin du parc Montsouris, dans les calmes abords de l'impasse Reille, ont voué un culte spécial à la Bienheureuse, sous l'invocation de laquelle elles ont placé des bonnes oeuvres et un patronage de jeunes filles: en dehors des heures de travail, celles-ci apprennent là le chant grégorien, et sont les pieuses élèves de la «manécanterie Jeanne d'Arc». Dimanche soir, à 8 heures, elles étaient toutes réunies dans le jardin joliment illuminé, pour participer à la procession aux flambeaux organisée par les soeurs autour de la statue de Jeanne d'Arc qui se dresse sous les arceaux des arbres. Après qu'elles en eurent fait le tour, un sermon fut prononcé par le Père Ledoré, général des Eudistes, et la cérémonie se termina par la bénédiction du Saint-Sacrement.
Les Monténégrins creusent, dans le sol pierreux de la
colline enfin conquise, des fosses pour leurs morts.
APRÈS LA PRISE DE TARABOCH.--Aspect d'une tranchée
turque. Phot. H. Grant, du Daily Mirror.
L'évacuation de la ville par les troupes d'Essad pacha.
Les Monténégrins entrent dans Scutari.
Entrée du prince Danilo et de ses officiers.
L'OCCUPATION DE SCUTARI PAR LES MONTÉNÉGRINS.--Les femmes
jettent des fleurs sur le passage de l'automobile du prince Danilo
rapportant à Cettigne les drapeaux turcs pris à Taraboch.--Phot. H.
Grant, du Daily Mirror.
UNE JOURNÉE GLORIEUSE POUR LES ARMES MONTÉNÉGRINES: LES
ÉTENDARDS ROYAUX DÉPLOYÉS SUR LA CIME DU TARABOCH
Ce fut pour le Monténégro un jour de grande allégresse, l'un des plus heureux de toute son héroïque histoire que celui où, sur le sommet du Taraboch, arrosé de tant de sang, les étendards rouges où s'éploie l'aigle d'argent dominèrent le lac paisible, l'opulente plaine qu'égaient de claires arabesques la Bojana, le Brin et le Kiri,--et surtout Scutari, enfin conquise au prix d'un si vaillant effort. Jour de joie sans lendemain, hélas! Sous la pression des puissances, solidarisées avec l'implacable Autriche, le pauvre et vaillant petit pays a dû abandonner sa conquête, la remettre à l'Europe: dans quelques jours, des détachements de marins débarqués des navires qui bloquent toujours les côtes monténégrines, assureront la police de Scutari. Cet abandon imposé, inéluctable, a été discuté au cours d'un conseil solennel de la Couronne, auquel assistèrent tous les princes de la famille royale, les ministres, les hauts dignitaires civils, et qui dut être étonnamment pathétique. En une première séance, le roi écouta les avis, d'aucuns--et ceux des généraux en tête--conciliants, pacifiques; d'autres--ainsi celui du prince héritier Danih, qui a joué dans toute cette guerre un rôle éminent--intransigeants, préconisant la résistance désespérée. A l'ouverture de la séance suivante, Nicolas 1er Pétrovitch fit connaître sa décision: «Il me faut consentir à l'évacuation de Scutari, de cette Scutari qui était le rêve le plus cher de mes jeunes années, de cette Scutari qui était à la fois pour les Monténégrins et l'héritage ancestral et le gage d'un avenir plus heureux.» Et, quand il eut, de sa main, rédigé et signé le télégramme annonçant ce renoncement, le vieux héros de l'indépendance pleura.
HEURE DE TRIOMPHE.--Les clefs de Scutari dans une main,
le roi du Monténégro déploie de l'autre, devant ses sujets, un drapeau
pris aux Turcs.
Le roi Nicolas.
UN PETIT PEUPLE HÉROÏQUE.--Tout le
Monténégro en trois photographies: un vieux roi, des invalides, et des
enfants qui grandiront pour combattre à leur tour.--Phot. H. Grant.
Le bureau de l'agent consulaire français après l'explosion de l'obus tombé dans le jardin. | La famine pendant le siège: Mme Krajewski, femme de l'agent consulaire de France, soignant un affamé. |
Maison des Franciscains éventrée par un obus. | Pendant le bombardement: la famille et les amis de l'agent consulaire de France, M. Krajewski, réfugiés dans la cave du Consulat. | Ruines d'une maison turque après le bombardement. |
LES EFFETS DU BOMBARDEMENT DE SCUTARI.--Dommages causés
dans le jardin du Consulat de France par un obus de 150 mm.--Phot. de
M. C. H. Moore et du Dr. Merhaut.
Embrasement de la basilique du Sacré-Coeur pour la fête
de Jeanne d'Arc à Montmartre.--Phot. Famechon et Lejards.]
Nous montrons, à une page précédente, la gracieuse cérémonie par laquelle fut célébrée, le soir du 4 mai, chez les Franciscaines de l'impasse Reille, la fête de Jeanne d'Arc, patronne de leurs bonnes oeuvres. Tandis que, dans leur jardin retiré, les flambeaux, les veilleuses multicolores suspendues aux arbres, jetaient leur éclat discret, tout à l'autre bout de Paris, le Sacré-Coeur s'embrasait magnifiquement. Les feux de Bengale, rouges et verts, allumés au pied de la basilique, les illuminations du dôme et des coupoles, lui faisaient, dans la nuit, une auréole de clarté; et elle apparaissait, de loin, dans son nuage lumineux, plus resplendissante encore de se détacher sur un ciel sans étoiles, au-dessus des lueurs incertaines de la ville.
La «journée de Jeanne d'Arc» se termina sur cette vision d'apothéose que parvient à rendre, malgré les difficultés de la photographie nocturne, le cliché reproduit à cette page.
Il y a quelques semaines, au Brésil, ceux de nos compatriotes qui pouvaient orner leur boutonnière du ruban de 1870 se réunissaient en une cordiale agape où ils évoquaient avec émotion les souvenirs de la guerre. Ils étaient six survivants, MM. Georges Prevault, Félix Avril, André Bourdelot, Claude Manasse, Louis Domingues et Clémencey, qui avaient demandé au colonel Balagny, le distingué chef de notre mission militaire à Sao Paulo, et au consul de France, M. Charles Birlé, de présider leur dîner commémoratif. Ce fut, loin du pays, qu'à chaque minute de cette soirée l'on évoqua, une petite fête charmante où des toasts, que les circonstances actuelles rendaient plus graves et plus ardents, furent portés à la mère patrie.
Un groupe de six anciens combattants de 1870 vivant à Sao
Paulo (Brésil) réunis sous la présidence du colonel Balagny
et du consul de Fiance, M. Birlé.--Phot. A. Bourdelot.
Aux nombreux auditeurs et aux auditrices plus nombreuses encore des conférences données, le mois dernier, à la salle de la Société de Géographie, par Mgr Bolo, le médaillon, exposé en ce moment au Salon et dû au sculpteur Doisy, que nous reproduisons ici, rappellera de saisissante manière les traits de l'éminent prélat dont les rudes sermons savent si spirituellement châtier les frivolités ou les erreurs de la vie mondaine. Il est des visages dont la ressemblance ne saurait être mieux rendue que par le relief, dur et vigoureux, du métal: ce profil nettement tracé, d'une si fine et s, ardente expression, porte l'accent de la vie.
Médaillon de Mgr Bolo, par Doisy.
Depuis deux ans qu'il s'est attaché à traiter pour les Parisiennes, en des séries de causeries placées à pareille époque, des sujets de morale auxquels ne conviendrait point la majesté de la chaire, Mgr Bolo a vu s'accroître son auditoire féminin, empressé à subir les rigueurs persuasives de son éloquence. De: même que Mme de Sévigné aimait à entendre Bourdaloue, «qui frappe toujours comme un sourd, disant les vérités à bride abattue», nos contemporaines se plaisent à écouter la parole du conférencier qui les charme en les gourmandant. Après avoir, la première fois, parlé des «Jeunes filles d'aujourd'hui», puis des «Mariages de demain», Mgr Bolo avait pris comme sujets, cette année, «l'Empire des Salons» et «la Morale des Salons». Ce lui fut matière à retracer, en termes particulièrement heureux, toute l'histoire des salons littéraires, qui sont, dans le domaine de l'esprit, «une sorte de Champagne délimitée et de première zone où s'élabore notre fin et clair langage, ce langage fluide, doré, pétillant, dont la vivacité explose en des mots qui sautent comme des bouchons». Si l'ancienne conversation française--celle qui était en honneur à l'Hôtel de Rambouillet--fut abondamment louée par le prédicateur, nos réunions mondaines de maintenant provoquèrent ses sévérités. Mgr Bolo blâme les potins, les commérages, redoute l'influence des «théâtrières»--entendez les femmes de théâtre--accuse le bridge et la musique... C'est un sermonnaire ardent, impétueux. Mais il séduit, jusque dans ses plus vives remontrances. Il est le critique le, moins indulgent de notre temps,--qui ne lui ménage pas les éloges.
Un légionnaire lit les prières funèbres devant les
cercueils des morts de Nekhila.--Phot. Georges Ancelm.
Les dépêches fréquemment publiées par les quotidiens, en ces derniers temps, ont donné l'impression qu'il se produisait, au Maroc, une recrudescence d'activité guerrière. Et, en effet, les soldats qui ont charge d'assurer la tranquillité à ceux qui veulent poursuivre une besogne pacifique ont eu, avec les tribus turbulentes, la tâche rude. Nous nous sommes appliqués à résumer ici les diverses phases des opérations qui leur ont été confiées.
Le travail de jonction de l'Algérie au Maroc par Taza se poursuivait lentement et sans bruit depuis quelques mois, d'après la méthode favorite du général Lyautey, --la fameuse méthode de la «tache d'huile». Selon l'expression imagée de M. Ladreit de La Charrière, on sapait doucement la falaise de part et d'autre, à l'occident et à l'orient, jusqu'à ce qu'elle fût prête à tomber. Quelques craquements du côté de la Moulouya viennent de révéler cette prudente besogne. Tandis que, par l'ouest, le général Gouraud, aussi sagace négociateur, quand il convient, qu'il se montre, en d'autres circonstances, prestigieux entraîneur d'hommes, installait sans incident, sans avoir tiré un seul coup de fusil, un poste à Souk el Arba de Tissa, chez les Hya'ma, les choses, au contraire, se sont passées moins doucement dans la région de la Moulouya.
Au commencement de février, progressant de quelques kilomètres, une partie des troupes composant la garnison de Taourirt s'établissaient à Merada constituées en «groupe mobile» sous les ordres du général Girardot, avec la mission, précisée par le général Alix, commandant le Maroc oriental, de maintenir et de consolider les résultats acquis au cours des opérations de mai et juin 1912--dont nous avons rendu compte en leur temps--de s'avancer autant que possible sur la rive gauche de la Moulouya, afin de préparer une marche éventuelle sur la casbah M'Soun, étape importante de la pénétration vers Taza, qui ne s'accomplira que l'heure bien sonnée, enfin de protéger les travaux du chemin de fer à voie étroite qui gagne peu à peu vers Guercif (la première locomotive est arrivée au milieu du mois dernier à Taourirt).
Sitôt installé à Merada, le groupe mobile se mit à l'oeuvre, rayonnant incessamment dans la plaine de Tafrata, repassant par tous les points qui furent, l'an dernier, le théâtre de pénibles combats. Grâce à l'appoint en hommes que fournirent les garnisons de Debdou et de Guercif, des postes furent mis à l'oued Cefla, à Sidi Yousef, à Maharidja et Safsafat. Entre temps, on reconnaissait la plaine de Djel, parcourant les territoires des Haouara et des Beni bou Yahi, et on atteignait, comme M. Etienne le pouvait déclarer à la Chambre, les environs de la casbah M'Soun, sans avoir tiré un coup de feu.
Le 9 avril, confiant en cette tranquillité, le général Girardot, avec son groupe, partait pour aller établir un poste nouveau à Nekhila, sur l'oued Bou Redim, affluent de la Moulouya, au pied du massif du Guilliz, l'un des premiers contreforts de la chaîne du Rif. La route fut calme. Mais à peine arrivait-on au camp, vers une heure de l'après-midi, qu'une attaque se produisit. Une fusillade éclata sur les crêtes montagneuses du Zag, au nord. On était engagé, et il fallut se battre pendant cinq heures pour repousser l'ennemi, qui laissa dix morts sur le terrain. Nous avions seulement six blessés.
On n'eut qu'un court répit: à 9 heures du soir, les Béni bou Yahi, auxquels on avait affaire, livraient un nouvel assaut plus furieux. Ils arrivaient presque aux tranchées: un tirailleur, Saïd Sahar, fut tué à bout portant. Le combat, violent, mouvementé, ne prit fin qu'à une heure du matin.
Nos troupes avaient à peine eu le temps de souffler un peu et de se remettre de ces alertes, quand, dans l'après-midi du 10, vers 2 heures, des coups de feu, de nouveau, partirent d'une crête. Le capitaine Doreau, à la tête d'un détachement de la 2e compagnie du 1er étranger, fut envoyé pour occuper cette position. Les Béni bou Yahi lentement reculèrent vers le Guilliz, poursuivis par les légionnaires. Mais cette retraite cachait une embuscade.
Tout à coup, la petite troupe se vit entourée, cernée de toutes parts, accablée par une horde sept à huit fois supérieure en nombre. Le capitaine Doreau, en vain, voulut ramener ses hommes; c'était bien tard, et le cercle se resserrait.
Dès le premier moment, le lieutenant Grosjean, qui transmettait l'ordre du capitaine, était frappé d'une balle sous l'omoplate. Le feu des nôtres ne parvint pas à arrêter l'élan de l'ennemi, qui continuait à progresser. Alors, le capitaine donna l'ordre suprême: «En avant! à la baïonnette!» Ce fut sa dernière parole: une balle en pleine tête le foudroyait.
Carte de la région voisine de la Moulouya où opèrent nos
troupes du Maroc oriental.
Sur les rives de la Moulouya: au premier plan, ruines de
la casbah de Merada; au centre, les montagnes du Guilliz, et, tout à
l'arrière-plan, le moyen Atlas.--Phot. Georges Ancelm.
NOS PROGRÈS DANS LE MAROC ORIENTAL.--Sur les bords de
l'oued Mellélou, à Safsafat, notre poste le plus avancé dans la
direction de Taza, au sud de la casbah M'Soun.--
Phot. du lieut.
Durdilly.
Colonel Mangin. Devant la casbah de Mechra en Nefad en
feu: le colonel Mangin, son état-major et, à côté de son fanion, le
fanion de ralliement abandonné par Moha ou Saïd.
A LA CONQUÊTE DE L'ATLAS MAROCAIN.--La casbah Tadla sur
l'oued Oum er Rbia. Vue prise le 7 avril, jour où le colonel Mangin,
ayant bousculé la harka de Moha ou Saïd, se jeta rapidement sur le seul
pont permettant sa fuite. Phot. du lieut. Bourgoin.
Carte des régions du Maroc occidental où opèrent les
colonnes Mangin et Henrys.
Bientôt se produisait un corps à corps épique. Les cadavres, des deux côtés jonchaient le sol.
«La retraite est forcée, écrit un des acteurs de ce combat farouche. Le lieutenant Grosjean, qui, bien que blessé, se traînant, assume le commandement, l'a ordonnée lui-même. Les Béni bou Yahi, ivres de sang et de carnage, se précipitent, armés de formidables poignards. Les poitrines halètent. On entend le ronronnement des balles de gros calibre, mêlé aux sifflements des projectiles Lebel. Avec des cris démoniaques, les Marocains essaient d'achever les blessés, s'acharnent même sur les morts. Le corps du capitaine Doreau est frappé de trois coups dans la poitrine; le caporal Schwartz, inerte, a la tête tranchée, que dis-je? hachée! Le lieutenant Grosjean essaie de se relever, mais ses forces le trahissent, et, dans un cri, il retombe épuisé: «A moi, la Légion!»
«Cet appel du chef a été entendu. Les légionnaires qui se repliaient font volte-face et foncent sur l'ennemi, baïonnette au canon. Le fer rougi de sang défonce les poitrines. C'est un spectacle poignant que celui de cette poignée d'hommes disciplinés, et vaillante plus qu'on ne saurait le dire, se frayant un passage au milieu de cette tourbe hurlante et grimaçante. Ils arrivent auprès de leur lieutenant, le saisissent à bras le corps, le relèvent, l'emportent, glorieux otage. Une pluie de balles s'abat sur eux. Le sergent Panter, qui soutient le lieutenant Grosjean, a le pouce enlevé. Le lieutenant lui-même a la main droite traversée. Plusieurs légionnaires tombent à leur tour. Alors, des luttes désespérées s'engagent, car il s'agit de ne pas laisser les blessés aux mains de ces sauvages, et chaque groupe, protégeant et entraînant un frère d'armes hors de combat, n'est, pour les fusils marocains, qu'une trop belle cible...
«Enfin, des goumiers en patrouille ont entendu la fusillade. Ils arrivent à la rescousse. Le camp est prévenu: c'est pour les Beni bou Yahi la débâcle. Mais de quel prix ce succès est acheté: nous avons sept morts, dont le capitaine Doreau et deux caporaux, et neuf blessés, tout cela sur trente-sept combattants: car ils n'étaient que quarante engagés en cette affaire si rude!
«Deux jours plus tard, le 12 avril, à 7 heures du matin, un très simple et très émouvant cortège se dirigeait du camp vers le cimetière de Merada. Précédées de la section de mitrailleuses du 6e bataillon, sept arabas ornées de lauriers, de feuillages, de tentures tricolores de fortune, portaient à leur dernière demeure les dépouilles des braves de Nekhila. Toute la garnison assistait à cette triste cérémonie, et, après un discours du commandant Quirin, un légionnaire, tête nue, la figure grave, dit la prière des morts,--en latin. C'est, disaient les hommes, un ancien «curé». Qui sait quelles épaves recèle la légion, si brave, si noble?» Au moins, nous demeurions sur nos positions: le 16 avril, le général Girardot inaugurait officiellement le poste. Pour la première fois, le pavillon tricolore flottait sur la «redoute Doreau».
Sans doute aura-t-elle encore à subir plus d'une attaque, car les tribus ne peuvent se résigner facilement à une occupation qui nous livre l'unique point d'eau de la région. Elles ont, d'autre part, trop de facilités à nous harceler en raison du voisinage de la zone espagnole où, après chaque défaite, elles peuvent se réfugier: le 10 avril, en déroute, c'est là qu'elles se repliaient par El Kheneg, une gorge qui les dérobait vite à notre poursuite. Toujours est-il 'que le poste est là, assez fort pour se défendre: le général Girardot, en jugeant ainsi, regagnait, le 17 avril, Merada avec le gros de ses forces, et se remettait à la disposition du général Alix pour de nouvelles opérations.
Le commandant en chef du Maroc oriental préparait aussitôt, pour la marche vers la casbah M'Soun, une colonne formée du groupe mobile du général Girardot et du groupe de réserve du général Trumelet-Faber, dont il devait prendre le haut commandement. Et quelques jours d'un repos bien mérité étaient accordés aux combattants de Nekhila. Mais les Beni bou Yahi allaient contrecarrer ce projet.
Le 19, le général Alix était prévenu qu'ils se disposaient, au nombre de plusieurs milliers, avec le concours des Mtalsa, à attaquer de nouveau, le lendemain matin, le poste de Nekhila, la «redoute Doreau» défendue seulement par 500 hommes.
A 8 heures du soir, l'ordre de départ était donné. Deux heures et demie plus tard, mis en route de trois quarts d'heure en trois quarts d'heure, trois groupes, comprenant en tout 4.500 hommes, cheminaient dans les ténèbres. Ils marchèrent toute la nuit, surprirent au petit jour l'ennemi, installé au pied du djebel Guilliz, et, sans prendre un instant de repos, engagèrent l'action.
Voir plus haut, à la page 441, la carte de la région de la Moulouya.
Un moment désemparés par la brusquerie de cette attaque, les Beni bou Yahi se ressaisirent assez vite. Ils résistèrent opiniâtrement jusqu'à une heure de l'après-midi. Alors, brusquement, accablés à la fin par les feux de l'artillerie et de l'infanterie, ils se débandèrent, s'enfuirent dans leurs montagnes, vers la zone espagnole, toujours, abandonnant leur camp qui fut anéanti. Nous avions cinq morts et vingt et un blessés, qu'on ramena vers Merada.
Il y eut encore, dans la nuit du 22 au 23, une nouvelle alerte, une attaque contre le même poste, si vive, que plusieurs piquets du réseau de fil de fer furent arrachés et que les assaillants parvinrent à jeter dans le camp des engins, d'ailleurs inoffensifs, des bombes confectionnées avec de vieilles boîtes de conserves: la garnison se tira d'affaire seule et repoussa cette agression.
Depuis lors, le calme règne à Nekhila. Le général Alix y demeure avec sa colonne, recueillant des renseignements sur les dispositions des tribus dont il surveille l'attitude, prêt à s'élancer vers M'Soun dès qu'il aura la certitude qu'il peut, dans de bonnes conditions, faire ce nouveau bond en avant.
La brusque occupation par le colonel Charles Mangin, plus que jamais plein «d'allant», d'un point sur l'oued Zem, affluent de l'Oum er Rbia, occupation affirmée par l'installation d'un poste, a déterminé dans la région occupée par les Zaïanes une certaine effervescence, à laquelle il a fallu faire face vigoureusement. De là, toute une série d'opérations qui se poursuivent encore à l'heure actuelle, et que couronnera, très vraisemblablement, une action d'ensemble, annoncée, puis démentie, à laquelle prendraient part cinq colonnes convergeant vers le pays zaïane et son hypothétique capitale Khenifra.
En attendant le déclenchement décisif, deux colonnes, sous le commandement des colonels Charles Mangin et Henrys, font d'énergique besogne, l'une remontant progressivement vers les Zaïanes, l'autre descendant vers le sud dans la région de Meknès.
Menacé d'une attaque de Moha ou Hamou el Zaïani, notre irréconciliable ennemi, qui s'est rapproché jusqu'à Betmat Aïssaoua, d'où il commande aux Smaala, Beni Khirane et Beni Zemmour, le colonel Mangin se décide à prendre les devants.
«Il quitte, nous écrit un des officiers de la colonne, l'oued Zem le 25 mars à minuit et tombe, à 9 heures du matin, sur le campement de notre vieil adversaire, qui ne dut son salut qu'à une fuite rapide. L'audace du colonel déconcerte les contingents que poussait le Zaïani et qui se sentent abandonnés de lui. Les Beni Zemmour, Smaala, Beni Khirane commencent à comprendre l'inutilité d'une plus grande résistance et ils viennent, les uns après les autres, offrir leur soumission au colonel. Pour les hâter, celui-ci se porte à la rencontre d'un détachement de sortie, venu de Zailiga, qui pourrait, le cas échéant, prendre les tribus par derrière.»
C'était le premier avantage remporté sur des tribus qu'aucun sultan n'a dominées depuis Moulai Ismaïl, le contemporain du Roi-Soleil. C'était le point de départ d'une campagne de première importance.
«Restaient, continue notre correspondant, les contingents du Sud. Les Chleuh, chassés de leurs montagnes par la neige, s'étaient groupés sous les ordres de Moha ou Saïd sur les deux rives de l'Oum er Rbia. Cet autre adversaire avait, en outre, entraîné dans son sillage les Aït Roboa.
«Le colonel Mangin songe à réduire ces contingents. Il part subitement, le 6 avril dans l'après-midi, de la dechra Brakne où il avait reçu la soumission des tribus du Nord, et vient coucher à Boujad, qu'il quitte au milieu de la nuit pour chercher à atteindre Moha ou Saïd; mais des guetteurs nous éventent et les campements sont levés précipitamment et dirigés vers l'oued. Les pluies des derniers jours et la fonte des neiges ont grossi le cours d'eau au point que bon nombre de gués sont impraticables et que la majeure partie des hommes et des animaux devra gagner l'unique pont de la casbah Tadla: c'est l'objectif du colonel Mangin. Il l'atteint vers 10 heures du matin et y trouve un désordre indescriptible. Cavaliers et piétons se bousculent pour franchir l'étroit passage, alors que plus de dix mille moutons, qui n'ont pas encore eu le temps de passer, nous sont abandonnés.
«Mais Moha ou Saïd nous avait échappé. Il s'était retiré chez lui, à Mechra en Nefad, au pied de la montagne, à 12 kilomètres de la casbah Tadla. A 2 heures, la colonne se remet en marche et se dirige vers le repaire de notre ennemi, qui se reposait tranquillement des fatigues de la matinée. Et c'est une nouvelle fuite de notre adversaire, un départ tellement rapide, que le chef si prestigieux nous abandonne son étendard de satin blanc.
«Un foyer d'agitation existe encore à Beni Mellal, où sont groupés environ quatre mille guerriers. De même que les précédents, le colonel Mangin va le réduire à néant. Partie de la casbah Tadla le 10 avril à 11 heures du matin, la colonne vient camper à Zidania, malgré de belles attaques de Marocains qui cherchent à l'accrocher en arrière.
«Un orage dans la soirée fait craindre des difficultés pour le lendemain, mais qu'importe? les admirables troupes pressentent la victoire, et il est peu d'obstacles pour les arrêter. A midi, la résistance était brisée, les innombrables défenseurs de la casbah Béni Mellal et des jardins qui l'entouraient avaient dû nous céder le terrain.»
Ayant frappé ce coup énergique, le colonel Mangin continua pendant quelques jours à parcourir le pays, recueillant force soumissions,--mais quelle sincérité faut-il attendre de ces gens à qui, confiants, on donne l'aman, et qu'on retrouve huit jours après devant soi, le fusil à la main?
Le 19 avril, enfin, la colonne Mangin atteignait l'oued el Abid à Dar Caïd Embarek, où elle devait donner la main au lieutenant-colonel Savy, venu de Marakech. La violence du courant de l'oued ne permit qu'aux cavaliers du lieutenant-colonel Savy de passer sur la rive droite, mais la jonction était faite et l'impression produite sur les indigènes considérable. Ils comprenaient que, désormais, toute tentative de rébellion serait rapidement réprimée, que, soit de Marakech, soit d'El Borouj, soit de l'oued Zem, des colonnes pouvaient se porter sur le moindre foyer d'agitation.
A quelques jours de là, le 25 avril, le colonel Mangin revenait à El Borouj pour y accueillir le général Lyautey, qui avait tenu à se rendre compte de la situation au Tadla. Le résident général reçut les caïds récemment soumis, et, très certainement, sut trouver les mots convaincants pour les affermir dans leurs résolutions pacifiques et leur démontrer que leur intérêt bien entendu même les engage à vivre avec nous en bonne intelligence.
Après le départ du général Lyautey, le colonel Mangin reprenait ses troupes à Dar ould Zidouh et les ramenait à la casbah Tadla.
Le 26 avril, il était de nouveau en route, marchant sur Aïn Zerga. Près de ce point, son arrière-garde fut en butte à une attaque de la part des contingents Aïb Attala et Aïb Bouzem. Toute la colonne dut être engagée, tant l'agresseur devenait mordant. Repoussé, enfin, et poursuivi par toute la cavalerie et l'artillerie montée, l'ennemi subit des pertes nombreuses. De notre côté, 4 tués et 27 blessés, parmi lesquels le colonel Mangin lui-même, atteint légèrement à la jambe.
Dans la nuit même, la colonne continuait sa marche vers Sidi Ali ben Brahim, où était groupée une harka de Chleuh. Le terrain qu'elle traversa était jonché encore de cadavres de Marocains tombés la veille.
L'ennemi guettait les nôtres, embusqué dans un bois d'oliviers, en avant de Sidi Ali. Le combat fut un des plus meurtriers que nous ayons livrés, puisque nous eûmes 18 morts et 41 blessés. La harka était nombreuse et acharnée. Elle tint bon jusqu'à 8 heures du soir, puis alors se débanda à bout d'effort, se dispersa dans toutes les directions. Elle se reformait un peu plus tard et, à distance respectueuse, observait notre attitude. Le colonel Mangin, pour en finir, recourut à une ruse classique: il feignit de se replier. Son mouvement fut suivi par l'ennemi. Alors, se retournant brusquement, dans une vigoureuse contre-attaque, il infligea aux Chleuh des pertes considérables. La colonne passa la nuit à Sidi Ali et n'en repartit que le lendemain,--sans avoir été de nouveau inquiétée. Le 2 mai, elle rentrait à la casbah Zidania.
Plus au nord, le colonel Henrys de son côté a déployé une activité égale et a eu à faire face à des groupes non moins ardents, Zemmour, Beni M'Tir, Beni M'Guild, Guerouane.
Parti d'El Hajeb au commencement d'avril, son action devait se développer vers le sud. Le 2 avril, en un raid rapide, il surprenait un campement hostile et lui enlevait ses troupeaux; le lendemain, il occupait la casbah des mêmes dissidents. Des négociations s'ouvraient immédiatement. Un premier douar zemmour de 60 tentes faisait sa soumission, et, en quelques jours, 200 tentes guerouanes sollicitaient et obtenaient l'aman.
Ces négociations furent à maintes reprises interrompues; quelque effervescence se produisait qui obligeait le colonel Henrys à porter un coup rapide, toujours suivi de soumissions nouvelles.
L'un de ses succès les plus remarquables fut, le 23 avril, la prise et la destruction de la casbah Ifran. Pour l'atteindre, il avait fallu à ses vaillantes troupes traverser la forêt de Jaba, passer le mont Koudiat, à 1.700 mètres d'altitude, dans le brouillard, le froid, la neige.
Le 24, le colonel Henrys prenait contact avec la colonne Comte, venue de Fez sans qu'on ait signalé, dans sa marche, aucun incident.
Les dissidents, en revanche, ne devaient pas laisser au colonel Henrys grand répit.
Bientôt, il était avisé qu'ils allaient attaquer son camp de Dar Caïd Itto (sur la position exacte duquel on n'est pas encore exactement fixés). Sans attendre cette attaque, le colonel décidait de prendre l'offensive et de se porter sur Azrou où les dissidents étaient installés. Mais eux-mêmes, avertis, se retirèrent sur les hauteurs boisées qui dominent le sud de la ville. Celle-ci fut occupée après une courte résistance. Le colonel y trouva des approvisionnements de bois considérables, qui serviront à la construction de redoutes fortifiées.
Les Marocains firent pourtant un retour offensif. Ils furent repoussés.
Le colonel Henrys regagna le camp de Dar Caïd Itto, en détruisant sur sa route quatre casbahs appartenant à la tribu des Beni M'Guild, dans la vallée de l'oued Tigrira.
Passage de l'Oum er Rbia par l'artillerie de 75, à la
casbah Zidania.
--Phot. du vétérinaire militaire Wagner.
Voilà une expérience faite, et nous savons dès maintenant ce qu'il faudra voir le 4 mai de l'an prochain. Il faudra voir la fête de Jeanne d'Arc. Des Français de tous les partis en réclamaient, depuis des années, la célébration. Qu'attendait-on pour les satisfaire? Dans un pays comme le nôtre, où l'on adore non seulement la bravoure, mais les gestes les attitudes jolies de la bravoure, et qui a pour capitale une ville dont un philosophe a dit qu'elle était le paradis des femmes, on imagine très bien de quel éclat charmant, de quelle somptuosité tendre et pieuse pourra être revêtu un tel hommage, le jour où la loi l'aura consacré; une fête officielle de l'Héroïsme guerrier qui sera la fête d'une jeune fille! N'est-ce pas de quoi enflammer de joie tous les cours? Nous n'avons eu, dimanche dernier, qu'une ébauche de cette fête-là, puisqu'elle n'est point officielle encore... Quel émouvant spectacle pourtant nous donna cette foule parisienne, qu'on dit sceptique, et que nous vîmes heureuse de pavoiser, de défiler, de prier pour une petite villageoise qui sauva sa patrie, et dont l'aventure prodigieuse a des grâces de conte de fées. Des penseurs ont voulu faire du 1er mai la fête du Peuple. Je crois bien qu'à cette date-là, celle du 4 mai va faire désormais la plus sérieuse des concurrences,--et que le peuple ne s'en plaindra point.
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Jeanne d'Arc fêtée dimanche; un roi salué, trois jours après, par les acclamations de Paris... Les étrangers qui furent témoins de cette commémoration et de cette visite rendront au moins cette justice au Paris de 1913 qu'il sait être républicain avec éclectisme et politesse. Il est vrai que le roi d'Espagne est un de ses monarques favoris. Paris aime Alphonse XIII pour sa jeunesse, pour son courage, pour l'espèce de sérénité élégante qu'il oppose aux petites misères et aux grands risques de son métier de roi, et enfin (car on est égoïste!) pour l'amitié très sincère que nous savons qu'il a pour nous.
Mais pourquoi ce souverain s'en va-t-il si vite d'une ville qu'il aime? Il ne s'est même pas donné le temps de goûter la grâce... un peu mouillée de notre printemps. Il y avait trop de monde et trop de bruit aux Champs-Elysées, mercredi, pour qu'il y pût voir comme la neige de nos marronniers en fleurs est jolie à regarder entre l'Arc de triomphe et l'Obélisque. Il n'a pas vu nos Salons du Grand Palais. Il n'a pas vu se dresser sur la piste sablée du Concours hippique les formes blanches d'un peuple de statues... Il n'a même pas regardé nos petits Salons!
Ils sont plus charmants que jamais et composent, à cette heure, un spectacle d'exceptionnel attrait. Les petits Salons, c'est ce qu'il faut voir cette semaine.
Je place au nombre des «petits Salons» cette délicieuse exposition de l'Union centrale consacrée aux Arts féminins et à laquelle les grands murs nus du Pavillon de Marsan font un si auguste cadre. Arts féminins, en chacun desquels s'évoque un peu de l'âme de nos vieilles provinces. Paris leur envoie, à ces provinces, ses modes, qui changent deux fois par an. Elles lui envoient, elles, d'exquis souvenirs de leur passé, et ce qu'il y a d'éternel dans leurs traditions d'élégance. Car les modes d'une province, c'est quelque chose dont on ne sait pas l'âge, et qui ne change jamais.
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De la rue de Rivoli, courons à la rue de Sèze (après une halte, qui ne sera pas sans agrément, chez les Intimistes, du boulevard Malesherbes); et nous voici devant l'Exposition charmante de Luigi Loir. Personne ne connaît mieux que ce peintre nos boulevards extérieurs et notre banlieue; et l'on pourrait dire qu'à travers ces décors-là Luigi Loir est, pour l'étranger, le meilleur des guides, car il leur en fait voir ce que d'eux-mêmes, en vérité, ils n'y auraient jamais vu. De Montmartre ou de Bougival l'étranger ne connaît guère que les heures brillantes du jour ou de la nuit. Il a vu Bougival sous le soleil du printemps; Montmartre sous le flamboiement de ses illuminations et de ses tapages nocturnes. Luigi Loir nous en montre et nous en fait aimer les mélancolies crépusculaires. Cet instant de la journée où s'entr'ouvre sur la nuit qui vient «l'oeil clignotant des bleus becs de gaz», personne ne l'a décrit aussi finement, aussi spirituellement que lui.
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De l'esprit! Il semble qu'on ait peur d'en avoir, en peinture; ou qu'on ne sache pas en avoir. Aux premiers rangs de ceux qui en ont, et beaucoup, saluons M. André Devambez dont voici précisément l'Exposition ouverte, depuis quelques jours, à côté de celle de Luigi Loir, chez Georges Petit. Près de cent cinquante «numéros» groupés en un Salon unique! C'est que M. Devambez possède ce don, aussi rare chez les peintres que chez les écrivains, de savoir dire beaucoup de choses en de très courts alinéas. M. André Devambez fait penser à ces maîtres flamands et hollandais dont les «petits tableaux» contiennent souvent de si grande peinture. Et comme il aurait tort d'agrandir les toiles où il peint! N'y fait-il pas tenir tout ce qu'il veut? Ne s'y montre-t-il pas, tour à tour, poète, historien, humoriste?
Humoriste! Comme je sais gré à M. Devambez d'oser l'être franchement;
d'avoir compris--comme le comprenaient ces maîtres flamands et
hollandais dont il était temps, vraiment, de reprendre chez nous la
tradition délicieuse--qu'une réalité comique, c'est quelque chose qui
peut être peint tout aussi bien que dessiné, et que la couleur ne
saurait être le privilège des sujets nobles,--ou ennuyeux. M. Devambez
aura été l'un des premiers à s'apercevoir de cela. Remercions-le du
service qu'il nous rend... et qu'il rend à la peinture!
Un Parisien.
Examens et concours.--Le cours complémentaire d'études coloniales au Collège de France est vacant. (Le délai d'inscription et de production des titres des candidats expirera le 18 mai.)--Le 14 mai auront lieu, à Paris, des examens pour l'obtention des brevets de langue annamite, cambodgienne et caractères chinois.--Un concours d'architecture est ouvert à Toulon, entre tous les architectes français, pour la reconstruction de l'hôtel de ville de Toulon.
Conférence.--Comédie des Champs-Elysées (avenue Montaigne), le 10 mai, à 4 h. 1/2: la Femme et le Théâtre, conférence et auditions de M. Marcel Prévost, à-propos en vers de M. Xavier Roux.
Expositions artistiques.--Paris: Grand Palais: Salon de la Société des Artistes français; Salon de la Société nationale des Beaux-Arts.--Petit Palais: exposition de David et ses élèves.--Ancien hôtel de Sagan (23, rue de Constantine): exposition d'objets d'art du moyen âge et de la renaissance au profit de la Croix-Rouge française. Cette exposition durera jusqu'à fin mai.
--Hôtel de Ville (salle Saint-Jean): exposition de la Société artistique et littéraire de la Préfecture de la Seine.
--A l'Office tunisien (2, rue Meyerbeer): exposition d'oeuvres des frères Delahogue (vues de Tunisie et d'Algérie).--Au Palais de Glace: Salon des Humoristes, organisé par le Rire.--Galerie Devambez (43, boulevard Malesherbes), jusqu'au 17 mai: exposition de la Société des Intimistes.--Salle Georges Petit (8, rue de Sèze), jusqu'au 15 mai: aquarelles et dessins par A. Devambez; tableaux, aquarelles et études par Luigi Loir.--Galerie La Boétie (64 bis, rue La Boétie), jusqu'au 21 mai: exposition de la société Le Pastel.
L'exposition canine.--L'exposition canine internationale, organisée par la Société centrale pour l'amélioration des races de chiens en France, se tiendra sur la terrasse de l'Orangerie des Tuileries du 17 au 26 mai. Elle aura lieu en deux séries: 1° chiens courants français et étrangers, bassets et chiens d'arrêt; 2° chiens courants bâtards, chiens de berger, de garde, et chiens de luxe.
Concerts.--Le 15 mai, salle Gaveau, en soirée, concert donné par le violoniste Jacques Thibaud; à la même date, salle Pleyel, concert du «quatuor avec piano (Lucien Wurmser, Firmin Touche, Maurice Vieux. Jules Marneff).
Sports.--Courses de chevaux: le 10 mai, le Tremblay; le 11, Longchamp; le 12, Saint-Cloud; le 13, Saint-Ouen; le 14, le Tremblay; le 15, Longchamp; le 16, Maisons-Laffitte; le 17, Saint-Ouen.--Escrime: le 17 mai, assaut du cercle Hoche; le 18 mai s'ouvrira, au Jardin des Tuileries, la grande semaine des armes de combat organisée par la Fédération parisienne d'escrimeurs.--Automobile: les 11 et 12 mai se courra le tour de Sicile (Targa-Florio); du 11 au 15 mai, grand meeting de vitesse organisé par le Club de la Sarthe et de l'Ouest, la Flèche, Laval, Tours.--Le 18 mai, ouverture du 4e Salon de l'automobile à Saint-Pétersbourg.--Boxe: les grands prix amateurs de boxe anglaise se disputeront, les 11 et 18 mai, à la salle Boisleux, et les mêmes jours, au Boxing Hall.--Le match de boxe pour le titre de champion d'Europe, qui devait se disputer à l'exposition de Gand le 25 mai, est remis au 1er juin.--Cyclisme: les 17 et 18 mai, course Bordeaux-Paris.--Au Parc des Princes, les 11 et 12 mai, grand meeting de la Pentecôte; grand prix de la Pentecôte; course à l'australienne.--Athlétisme: courses à pied le 12 mai, Racing-Club de France contre South London Harriers; le 18 mai, prix Blanchet.
Le dingo est un chien qui nous vient d'Australie, un chien, à vrai dire, ni chien ni loup, mais plutôt loup que chien, et qui tient surtout du loup de Russie; à ce détail près--observe sir Edward Herpett, le personnage de préface du nouveau livre de M. Octave Mirbeau (1)--à cela près «que, n'ayant ni le pelage gris du loup, ni son échine basse, il rappelle, sans l'excuse de la faim et même sans un goût très violent pour la viande, sa férocité carnassière.» Enfin, le dingo est un loup dont l'illusoire ressemblance avec le chien suffit à le faire accepter comme chien parmi les bêtes et les gens de notre société organisée. Mais il n'en est pas moins que le dingo reste loup et qu'en traversant les foules--humaines et animales--ordonnées, policées, civilisées, de notre temps, il y demeure un élément de trouble, de contraste, et--pour M. Mirbeau--d'études comparatives. Sauvagerie contre civilisation. La bête instinctive contre l'homme éduqué. La nature contre l'artifice. Ouvrons, à nouveau, parmi les décors de cette époque, la lice des millénaires et tenons les paris. M. Octave Mirbeau s'est réservé le soin de tirer la philosophie, ou du moins une philosophie, de ce rapprochement et de cet antagonisme, et, sans grande hésitation, avec une sorte de joie, il a donné comme titre au recueil de ses impressions, observations, conclusions, le nom de celui qui, dans ce contact émouvant, lui paraît avoir joué le rôle du personnage noble, du héros. Il a donné comme titre à son livre le nom de la bête sauvage: Dingo.
Note 1: Dingo, par Octave Mirbeau, Eug. Fasquelle, édit.
Donc, Dingo, récit d'une vie de chien, est surtout une histoire de la vie des hommes, des hommes d'aujourd'hui et aussi sans doute des hommes de demain; car M. Octave Mirbeau ne semble guère admettre dans l'évolution de l'humanité de grandes possibilités de changement, ni surtout de perfectionnement. L'homme est grotesque quand il n'est pas criminel et criminel quand il n'est pas grotesque. Vous ne le sortirez point de là, et il paraît difficile, tout pesé, que jamais l'âme d'un homme puisse valoir l'âme d'un chien, voire d'un chien féroce.
Ne vous indignez pas trop contre M. Octave Mirbeau, ni contre son livre. D'abord M. Mirbeau a prodigué dans ce livre tout le talent âpre que vous aimez en lui, et rarement l'art de la forme a davantage paré la violence du fond. M. Mirbeau, vous le savez, est le plus poignant, le plus impitoyable des pessimistes satiriques. C'est le pamphlet en une phrase, en un mot, en une virgule. Il vous étrangle entre deux tirets et vous assomme avec trois points de suspension. Il est à lui seul Juvénal et La Rochefoucauld, Diogène et Jean Veber. Mais encore vaut-il mieux ne le comparer à nul autre. Mirbeau est Mirbeau sans plus et sans moins. Et c'est bien assez pour son compte et pour le nôtre.
La société des hommes, dans le nouveau livre de M. Mirbeau, tient en un village de quelque Seine-et-Oise, le village de Ponteilles-en-Barcis. Il y a là, d'un côté, tous les représentants de notre organisation économique, politique, administrative, militaire, religieuse, ceux de la famille, ceux de la communauté et ceux de l'État. Il y a, de l'autre côté, Dingo, le chien sauvage. Et le massacre commence. Si M. Mirbeau, en ce carnage, épargnait quelqu'un ou quelque chose, cela deviendrait tout à fait angoissant, car tels de nous qui ne compteraient point parmi les exceptions pourraient se sentir directement et cruellement atteints. Mais qu'on se rassure! M. Mirbeau n'épargne rien, ni personne. Il ne fait point de quartier. Tout y passe: maréchaussée, justice, finances publiques, économie domestique, commerce, littérature, théâtre, science, et non point seulement la science officielle consacrée, décorée, mais encore la science indépendante, combattue, entravée. Tous y passent, depuis le maire jusqu'au garde champêtre, sans oublier le gendarme--qui fraude, pour le vendre plus cher, le fumier de la gendarmerie--sans oublier l'employé des postes qui, derrière son guichet, pèse les lettres et les frappe du timbre «avec une violence précise et comme s'il accomplissait un acte de vengeance». Vous devinez bien que ne sont mis hors de compte ni le médecin, ni le pharmacien, ni le vétérinaire, ni l'Institut Pasteur, «une belle blague!».
Bien entendu, la charité humaine, la solidarité, l'amitié, sont traitées comme vous pensez. La bonté, la pitié! Ah! ah! Vous entendez d'ici ce rire de M. Mirbeau, ce rire court et sec qui se brise sur les dents et vous laisse un froid aux gencives. Et ce qu'il y a de terrible, parfois, presque tout le temps même de votre lecture, c'est que vous avez vraiment envie de rire avec M. Mirbeau, et du même rire que lui. Et pourquoi? Tout simplement parce que tous les personnages types que nous voyons réunis à Ponteilles, le village «qui crève d'or» et «se berce de rêves atroces», tous ces personnages sont indiscutablement vrais. Nous avons lu leurs effroyables histoires, chaque matin, dans les journaux; nous avons vu frémir de leurs haineuses colères les grimoires d'avoués; nous avons connu leur redoutable sottise et leur lâche fureur quand ils composent une foule; et surtout nous avons soupçonné leurs tares, leur avidité, leur hypocrisie, et leur facilité à commettre tous les crimes que ne sait pas atteindre la justice, et dont, en sa conscience de bête sauvage, s'indigne le chien féroce de M. Mirbeau. Car c'est là, au fond, tout le secret de la violence justicière de Dingo, qui, lâché au milieu de ces appétits, de ces bassesses, inflige à tout le pays de multiples et ruineuses expiations. Bien plus. Il nous communique, ce Dingo, et par une irrésistible contagion, un peu de sa rage de meurtre. On a comme envie de lui crier: «Bravo! Dingo. Continue, Dingo! Pille et tue! Ne t'arrête point aux bêtes domestiques, civilisées, elles aussi, les pauvres... Sus aux gens, aux habitants, ceux de Ponteilles, jusqu'au dernier.»
Ceux de Ponteilles! Car nous n'avons pas, il faut bien le dire, songé un
seul moment, ni, sans doute, M. Mirbeau lui-même, que l'humanité de
Ponteilles était toute l'humanité. Mais nous n'en sommes pas moins
ravis, d'avoir été conviés par Dingo à nous mirer dans les mares de
Ponteilles, car, pour nous y être vus un moment, nous les hommes, si
laids, tellement difformes et à ce point infâmes, nous éprouvons, quand
c'est fini, cette même impression heureuse que l'on ressent après que
cesse l'obsession caricaturale d'un miroir en creux ou en bosse placé
devant notre visage. Nous nous savons plus beaux, --et meilleurs.
Albéric Cahuet.
Voir, dans La Petite Illustration, le compte rendu des autres livres nouveaux.
Cyrano de Bergerac, poursuivant son éblouissante carrière, vient d'atteindre sa millième représentation sur cette même scène de la Porte-Saint-Martin, d'où il s'élança il y a quinze ans vers la gloire. A cette occasion, les directeurs de ce théâtre et l'auteur ont offert au public parisien une représentation gratuite de ce chef-d'oeuvre. On imagine aisément quels enthousiastes applaudissements les ont récompensés de ce geste généreux. M. Edmond Rostand, dans une pensée délicate, voulant associer à son triomphe l'inoubliable Coquelin aîné, avait, la veille, en pleine représentation, fait adresser à la mémoire du créateur du rôle de Cyrano, par M. Le Bargy, qui lui succède, un salut profondément émouvant. Les spectateurs privilégiés de cette commémoration touchante ont uni, dans une ovation spontanée, le nom du grand artiste disparu a celui du glorieux auteur qui lui fit rendre ce public hommage par l'admirable Cyrano d'aujourd'hui.
La Comédie-Française a enrichi son répertoire de pièces en un acte d'une délicieuse petite comédie de MM. Robert de Flers et G.-A. de Caillavet, Venise, et elle a monté Riquet à la Houppe, une des comédies de Théodore de Banville où s'affirment le plus brillamment les prestigieux dons poétiques, et la souplesse verbale, l'incessante fantaisie, l'esprit toujours jaillissant de ce roi du Parnasse. On a fait fête à l'une et à l'autre de ces oeuvres, jouées à ravir, la première par Mlle Leconte et MM. Numa et Le Roy, la seconde par Mmes Lara, Delvair, Robinne, Bovy et MM. Berr, Brunot, Croué.
Panurge, représenté à la Gaîté-Lyrique, est la dernière partition écrite pour la scène par Massenet. Dans cet opéra-comique, vivant, joyeux et pittoresque, le compositeur regretté semble avoir voulu renouveler sa manière. Tour à tour allègre, comique, amoureuse, sentimentale, sa musique charme et émeut. Le livret, d'une tenue très littéraire, est dû à la collaboration de MM. Georges Spitzmuller et Maurice Boukay. Le succès de cette oeuvre a été vif. Il convient d'y associer les excellents artistes qui l'interprètent: Mlles Lucy Arbel et Doria, MM. Vanni, Marcoux, Gilly, Martinelly.
A l'Odéon, M. André Antoine a eu l'ingénieuse idée de présenter l'Esther de Racine dans une mise en scène inspirée des tapisseries de Troy. Les artistes, revêtus de costumes dessinés par M. Ibels, reproduisaient les attitudes des personnages imaginés par le célèbre peintre, et le décor, dû à M. Paquereau, était une copie fidèle de celui qu'il composa. La musique de Jean-Baptiste Moreau accompagnait les choeurs.
D'un roman qu'il avait publié dans le Figaro sous le titre l'Ile fantôme, M. Charles Esquier, ex-pensionnaire de la Comédie-Française, a tiré une pièce, l'Entraîneuse, jouée avec succès à Bruxelles et reprise ces jours derniers au théâtre Antoine. Un musicien, pauvre et méconnu, mais encouragé, soutenu, «entraîné» par sa femme, aimante et dévouée, n'arrive finalement à faire représenter sa première oeuvre et ne parvient par là à la fortune, à la célébrité, qu'au prix d'un douloureux sacrifice de sa compagne, sacrifice dont elle double la valeur en le tenant secret même lorsque, après le triomphe, son mari la délaisse et la trahit. On a applaudi cette pièce qui nous présente une étude, très scéniquement composée, d'un intérieur d'artistes; on a beaucoup applaudi aussi les interprètes, au premier rang desquels il faut citer Mlle Margel, d'une sincérité ardente et pathétique et dont la renommée s'accroît légitimement à chaque nouvelle apparition, et un débutant--du moins à Paris--M. Francen, auquel son jeu sobre, vigoureux et juste, peut faire prédire à coup sûr le plus bel avenir.
Au théâtre Michel, Manche Câline, la comédie de M. Pierre Frondaie, est accompagnée hormis quelques jours d'une fantaisie, Pas davantage, de M. Nozière, tout à fait dans le ton voluptueux et sentimental, galant et badin, que le spirituel auteur a transposé du dix-huitième siècle (même quand il s'agit du Second Empire, comme c'est ici le cas) en l'adaptant au goût moderne; une musique facile et d'ailleurs agréable, de M. Marcel Lattès, accompagne cette jolie fantaisie.
Le théâtre Sarah-Bernhardt a fait une reprise du Bossu, pièce qui fut, il y a juste un demi-siècle, tirée du roman de Paul Féval par l'auteur lui-même, aidé du dramaturge Anicet Bourgeois; c'est un mélodrame historique attendrissant et divertissant, l'un des modèles de ce genre qui fit fortune de 1850 à 1865. Dans le rôle de Lagardère, créé par le fameux Mélingue, M. Joubé déploie la fougue qui convient au chevaleresque et romanesque héros.
La Société des Escholiers, présidée par M. Auguste Rondel, nous a donné un intéressant spectacle composé de deux petites comédies la Bonne École, de M. Jean Hermel, et Ainsi soit-il, de MM. Gallo et Martin-Valdour, et d'un ouvrage plus important de M. François de Nion, l'État second; c'est l'exposé curieux, étonnant, d'un cas d'hypnose assez rare et exceptionnel, mais traité avec une ingéniosité et une sobriété dramatiques qui ont valu à l'auteur de sincères applaudissements.
M. Octave Bernard fait représenter en ce moment, au Théâtre Nouveau de Belleville, Mirka la Brune, soeur cadette des Deux Orphelines et de la Porteuse de pain. Le public populaire a paru s'intéresser à ce drame où, après bien des péripéties émouvantes ou comiques, les méchants sont punis et les justes récompensés.
Avec les premiers jours de mai, les Folies-Marigny ont ouvert leurs portes aux Champs-Elysées sur la Revue de Marigny de MM. Michel Carré et André Borde, où défilent, selon l'usage, dans des décors somptueux, et en costumes pittoresques et variés, d'innombrables virtuoses de la comédie, du chant et de la danse,--et il en est même, comme miss Campton, qui cumulent et sont à la fois comédiennes, chanteuses et danseuses.
Le transmetteur téléphonique à deux microphones,
un pour
la bouche, un pour le nez.
Le téléphone intensif.
La netteté des transmissions téléphoniques est fort irrégulière; elle dépend en grande partie des phénomènes électriques dont les constructeurs cherchent à diminuer l'influence en réglant convenablement la sensibilité des microphones et en apportant le plus grand soin dans l'installation des fils conducteurs. Mais les modulations de la voix ont aussi un rôle qui semble avoir jusqu'ici fort peu préoccupé les constructeurs.
D'après le docteur Jules Glover, médecin du Conservatoire, ce rôle aurait une grande importance, car le courant agit sur l'aimant récepteur du téléphone, non point par son intensité propre, mais par ses variations. On doit donc s'attacher à reproduire aussi exactement que possible les variations de la voix.
Or, les vibrations sonores, en sortant du pharynx, arrivent au voile du palais qui les dissocie en deux groupes plus ou moins inégaux: les unes s'échappent par le nez, les autres par la bouche. La théorie indique dès lors la nécessité de transmettre, avec une égale perfection, ces deux groupes d'ondes sonores. Cette condition ne se trouve pas réalisée dans les appareils actuels qui reçoivent seulement les ondes buccales.
Le docteur Glover a donc établi un transmetteur téléphonique se distinguant des transmetteurs ordinaires en ce qu'il comprend deux microphones de sensibilité différente, dans lesquels on parle respectivement avec la bouche et avec le nez. L'appareil, présenté à l'Académie des sciences par M. d'Arsonval, semble donner une amplification sonore importante et une netteté de la voix particulièrement précieuse dans les transmissions à longue distance.
Ajoutons que l'hygiène peut être assurée dans les postes publics au moyen d'un dérouleur automatique permettant d'interposer, à chaque communication, un papier fin entre le nez et la bouche et les microphones.
A propos de la station des Trappes.
La presse a récemment raconté que l'Institut avait refusé la station météorologique de Trappes que l'éminent savant Teisserenc de Bort avait voulu lui laisser pour qu'on y pût continuer les recherches entreprises sur la haute atmosphère.
La raison donnée était, et est bien, que la somme que Teisserenc de Bort laissait, en outre de la station, à l'Institut, ne suffisait pas à assurer le fonctionnement de celle-ci.
Cette information, toutefois, ne contient qu'une partie de la vérité, et on aurait tort de croire, d'après ce qui vient d'être dit, que la station de Trappes est perdue pour la science.
Comme la famille du regretté savant tient avant tout à ce que Trappes vive et continue à être utile, des négociations ont été entamées, par M. H. Deslandres en particulier, grâce auxquelles le voeu de Teisserenc de Bort sera exaucé, sans que l'Institut soit chargé d'un fardeau qu'il ne pouvait accepter.
La combinaison adoptée, tout en conservant à Trappes son caractère scientifique, tout en lui permettant de continuer l'oeuvre commencée, donne, en outre, à la station un caractère pratique, et du plus haut intérêt.
Les progrès, et les exigences aussi, de l'aviation et de l'aéronautique font qu'il est devenu très désirable de connaître au jour le jour, les variations qui se font dans les mouvements aériens. On a besoin de jeter sans cesse des coups de sonde dans l'atmosphère pour savoir si elle est calme, ou agitée, quels courants s'y trouvent et à quelle hauteur. Pour obtenir ces renseignements, il faut des stations organisées pour l'examen de l'atmosphère, stations d'où chaque jour il sera envoyé aux centres d'aviation et d'aéronautique intéressés, des renseignements précis.
Trappes est tout indiqué pour être une de ces stations, et c'est à ce titre qu'il sera recueilli non par l'Institut, mais par l'État. Sera-t-il rattaché au ministère de l'Instruction publique, ou à celui de la Guerre? On ne sait au juste. Mais en tout cas, tout en servant à l'exploration quotidienne de l'atmosphère jusqu'à 3.000 mètres de hauteur, pour les besoins pratiques, la station continuera les recherches entreprises déjà sur la haute atmosphère, et ce sera probablement sous la surveillance de l'Institut que se poursuivra cette besogne essentiellement scientifique, mais très instructive et utile aussi, dont Teisserenc de Bort fut l'ouvrier principal.
Les admirateurs et amis du très regretté savant, trop tôt enlevé à la science, seront heureux d'apprendre que l'oeuvre de celui-ci se poursuivra, et, sans perdre son intérêt scientifique, acquerra un intérêt national.
Production d'engrais au moyen de l'aluminium.
Lorsqu'il y a soixante ans Sainte-Claire Deville indiquait le moyen de produire de l'aluminium à 1.200 francs le kilo, il pensait bien que, dans un avenir plus ou moins rapproché, on trouverait des procédés économiques pour obtenir industriellement le nouveau métal; il ne se doutait guère sans doute que les usines d'aluminium deviendraient un jour des fabriques d'engrais. C'est pourtant ce qui arrive.
On sait que l'aluminium est extrait de la bauxite, terre rouge très riche en alumine, dont les gisements les plus importants se trouvent en France dans le département du Var. M. Serpek, ingénieur autrichien, a constaté que si l'on chauffe la bauxite à 1.500 degrés, en présence de charbon, on capte l'azote de l'air et on obtient du nitrure d'aluminium d'où l'on tire de l'aluminium et du sulfate d'ammoniaque vendu comme engrais. L'aluminium revient alors à 1 fr. 05 le kilo au lieu de 1 fr. 50, prix actuel; et l'on espère réaliser une économie encore plus considérable.
Le procédé étant protégé par un brevet, il est probable que le consommateur n'en bénéficiera guère avant quelque temps. On peut, néanmoins, entrevoir à bref délai un nouvel essor de l'industrie de l'aluminium, industrie essentiellement française qui suit un développement constant.
De 750 tonnes en 1902, notre production a passé à 4.400 tonnes en 1909, pour atteindre 13.000 tonnes en 1912, soit plus du cinquième de la production mondiale qui s'est chiffrée par 60.000 tonnes.
L'aluminium a valu successivement 59 francs le kilo en 1888, 19 francs en 1890, 6 fr. 25 en 1893, 2 fr. 50 en 1906: il coûte actuellement 1 fr. 95, le prix de revient ne dépassant pas 1 fr. 50. Le procédé Serpek fera sans doute descendre le prix de vente au-dessous de ce dernier chiffre.
La chaleur supportée par le corps humain.
L'homme supporte dans certaines régions une température à peu près double de la température maxima qui lui paraît effroyable sous les climats tempérés. Dans l'Australie centrale on a constaté fréquemment une température moyenne de 46 degrés centigrades à l'ombre et de 60 degrés au soleil; on a même relevé 55 et 67 degrés. Dans la traversée de la mer Bouge et du golfe Persique, le thermomètre des paquebots se tient couramment entre 50 et 60 degrés, malgré une ventilation continuelle. Un des récents explorateurs de l'Himalaya a constaté, au mois de décembre, à 9 heures du matin, et à 3.300 mètres d'altitude, une température de 55 degrés.
Deux savants anglais, Bleyden et Chautrey, ont cherché à déterminer la température limite que nous pouvons supporter. Ils s'enfermèrent dans un four dont la chaleur fut élevée progressivement, et ils supportèrent une température dépassant un peu le point d'ébullition de l'eau, c'est-à-dire 100 degrés.
Cette endurance s'explique par la transpiration énorme que provoquent les températures élevées; l'eau qui perle à la surface de la peau se transforme instantanément en vapeur, absorbant pour changer ainsi d'état une notable partie de la chaleur qui entoure immédiatement le corps.
En résumé, on peut affirmer, sans paradoxe, qu'à condition d'être protégé de tout contact direct avec la source de chaleur, le corps humain est capable de supporter une température presque suffisante pour cuire une côtelette.
La prétendue solidarité ouvrière des fourmis.
La fourmi n'est point prêteuse, nous enseigne la fable; elle ne pratique nullement la solidarité ouvrière, croit pouvoir affirmer M. Cornetz, observateur averti. Et l'instinct social que nous attribuons à ces insectes si admirés n'existerait que dans notre imagination.
A l'appui de cette opinion, M. Cornetz cite une expérience aisée à répéter. Offrons à une fourmi un brin de fromage taillé en forme de navette, elle s'agrippe à la pointe, le fait tourner, puis l'entraîne dans la direction du nid. D'autres fourmis passent: l'une s'accroche à la pointe, les autres se cramponnent à droite et à gauche, et le fromage continue à avancer, mais beaucoup plus lentement. Il n'y a pas réunion d'efforts; au contraire, chaque fourmi cherche à faire tourner la miette. Si on chasse les fourmis de droite, le fromage tourne aussitôt dans le sens des aiguilles d'une montre; il tourne en sens inverse si l'on écarte seulement les fourmis de droite. Fait-on lâcher prise à toutes les fourmis latérales, l'objet est entraîné par la fourmi de pointe aussi vivement qu'avant l'arrivée des prétendues collaboratrices. Enfin, supprimons la fourmi de pointe en laissant toutes les autres: le fromage s'arrête net. Donc, la fourmi de pointe fournissait seule un travail utile.
D'où il semblerait résulter que l'instinct des fourmis les porte surtout à prendre le bien du voisin.
Bilan de grèves.
Une étude documentaire, publiée récemment par le Times sur le mouvement ouvrier en Grande-Bretagne, nous a apporté des chiffres particulièrement intéressants.
L'année 1912 a vu se produire chez nos voisins 821 grèves qui ont englobé 1.437.032 personnes et se sont traduites par la perte de 40.346.400 journées de travail. Ces deux derniers chiffres constituent des records, ce qui n'est pas le cas du premier, car les deux années 1894 et 1896 avaient été marquées chacune par 929 grèves.
L'année 1911, seule, pourrait être comparée à 1912 avec 903 grèves, 961.980 personnes et 10.319.591 journées perdues. Mais on voit que le bilan de l'année dernière fut beaucoup plus important grâce à la grève générale des mineurs (quatre fois plus de journées perdues). Le total des personnes englobées dans les grèves de ces deux dernières années a été supérieur au total correspondant des dix années précédentes, soit de 1901 à 1910. La seule année que l'on puisse comparer à cette période 1911-1912 est 1893, qui vit se produire 615 grèves entraînant la perte de plus de 30 millions de journées de travail.
Gestes du Mexique: la réconciliation officielle et
publique des généraux Huerta et Orozco, au palais
présidentiel de Mexico.
A la veille de la réunion du congrès qui doit procéder à l'élection régulière du président de la République mexicaine, les troubles renaissent en ce pays qui, après avoir été si longtemps maintenu dans l'ordre par la poigne de fer de Porfirio Diaz, semble revenir à la tradition des pronunciamentos. On considère, néanmoins, jusqu'à présent, que le neveu de Porfirio, le général Félix Diaz, qui, avec le général Huerta, fit la dernière révolution, conserve les plus grandes chances d'être élu. En attendant, c'est le général Huerta qui continue de détenir le pouvoir. C'est--il l'a prouvé--un homme rude, et que les scrupules de légalité embarrassent peu. On le dit habile à pratiquer la politique intérieure mexicaine. En tout cas, il a réussi à amener à composition le fameux général Orozco, celui-là même dont nous avons publié récemment le portrait, un fusil à la main et une cartouchière à la ceinture. Les rebelles d'Orozco étaient en principe des gens paisibles, puisqu'ils réclamaient simplement l'application des lois agraires! Le général Huerta lui-même n'en dut pas moins tenir contre eux dans le Nord une campagne très pénible ces derniers temps. Enfin, les deux ennemis se sont réconciliés. Le 17 mars dernier, au palais présidentiel, Orozco, en redingote, a reçu de son ex-adversaire une large accolade, à la mode hispano-américaine.
Ce qui ne veut pas dire, hélas! que la révolution soit terminée. Le chef Zapata, et d'autres chefs, inconnus hier, et peut-être gouverneurs ou ministres demain, tiennent de nouveau la campagne. Un récent télégramme annonçait le pillage d'un train et le massacre des voyageurs. Aussi tous les Mexicains d'ordre et de travail et les étrangers souhaitent-ils qu'un gouvernement ferme, sinon une dictature, soit rétabli sans tarder et que l'on puisse à nouveau connaître la sécurité que sut maintenir la longue présidence de Porfirio Diaz.
Le sociétaire de la Comédie-Française
en voyage: M. Silvain.
C'est le propre des incidents de théâtre d'être aussi retentissants que promptement oubliés... Peut-être a-t-on déjà un peu perdu le souvenir des démêlés qu'eut, le mois dernier, au moment de son départ pour une longue tournée, M. Silvain avec la Comédie-Française. Ayant commencé son voyage par quelques villes du Midi, l'excellent tragédien, sociétaire infatigable, dut par deux fois, et à deux jours d'intervalle, regagner Paris pour y venir jouer Louis XI. Et l'on a pu calculer que le vice-doyen de la Maison avait ainsi parcouru plus de 3.000 kilomètres en quatre-vingt-onze heures,--record que n'aurait point permis l'antique chariot de Thespis.
Depuis lors, la tournée de M. Silvain en Algérie et en Tunisie s'est poursuivie sans encombre. C'est de Guelma que nous arrive aujourd'hui l'écho de ses succès. Il y a représenté, le 1er mai, sur la scène du théâtre romain de Calama, une oeuvre dont il est l'auteur, en collaboration avec M. Jaubert, l'Andromaque d'Euripide, traduite et adaptée par leurs soins. L'éclat de l'interprétation, en tête de laquelle figurait, aux côtés de M. Silvain dans le rôle du vieux Pelée, Mme Louise Silvain en Andromaque, la nouveauté de la pièce, non encore donnée en public, avaient attiré de nombreux spectateurs, qui firent fête aux deux artistes et à leur troupe. Une de nos photographies montre une scène de la pièce, dans un décor adroitement reconstitué, où l'on voit, à gauche, le palais de Néoptolème et à droite le temple de Thétis, à Phtie, en Thessalie.
Une représentation d'Andromaque (d'après Euripide) au
théâtre romain de Calama: Mme Silvain, sur les marches du temple de
Thétis.
LA TOURNÉE DE M. ET Mme SILVAIN EN TUNISIE.--Photographies C. Nataf.
Le raid hippique des officiers de la réserve et de l'armée territoriale avait fait ressortir, en 1911 et en 1912, des qualités d'endurance remarquables; la course de 1913 adonné des résultats tout à fait exceptionnels.
Biarritz-Paris: le sous-lieutenant
Crespiat et sa jument Bibi.
L'épreuve comportait le voyage de Biarritz à Paris; mais le trajet de Biarritz à Bordeaux constituait un exercice d'entraînement n'appelant aucun classement; la véritable course commençait à Bordeaux. Pour la première fois, aucune limite de vitesse n'avait été imposée aux concurrents. Guidés par une science hippique déjà éprouvée, nos officiers purent ainsi demander à leurs chevaux l'effort maximum, et, malgré cela, sur 84 concurrents partis de Biarritz, 62 arrivèrent à Versailles.
La première place est revenue au sous-lieutenant Crespiat, du 1er régiment de chasseurs, qui, parti de Bordeaux le lundi 21 avril, à 5 heur s du matin, arrivait à Versailles le jeudi à 3 heures de l'après-midi, ayant couvert exactement 560 kilomètres en quatre-vingts heures, soit une moyenne d'environ 163 kilomètres par jour pendant trois jours et demi.
Les capitaines Lebrun, Nathan, Doussaud et les lieutenants d'Amboix de Larbon, Pichon, Jabat, Guyot, Fabre, du Halgouët, Caillât, classés immédiatement après le vainqueur, avaient eux-mêmes soutenu un train d'environ 140 kilomètres par 24 heures.
QUAND ON EST DE MAUVAISE HUMEUR, par Henriot.
(Agrandissement)
Note du transcripteur: Les suppléments mentionnés
en titre ne nous ont pas été fournis
End of Project Gutenberg's L'Illustration, No. 3663, 10 Mai 1913, by Various *** END OF THIS PROJECT GUTENBERG EBOOK L'ILLUSTRATION, 10 MAI 1913 *** ***** This file should be named 38729-h.htm or 38729-h.zip ***** This and all associated files of various formats will be found in: https://www.gutenberg.org/3/8/7/2/38729/ Produced by Jeroen Hellingman et Rénald Lévesque Updated editions will replace the previous one--the old editions will be renamed. Creating the works from public domain print editions means that no one owns a United States copyright in these works, so the Foundation (and you!) can copy and distribute it in the United States without permission and without paying copyright royalties. Special rules, set forth in the General Terms of Use part of this license, apply to copying and distributing Project Gutenberg-tm electronic works to protect the PROJECT GUTENBERG-tm concept and trademark. 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It exists because of the efforts of hundreds of volunteers and donations from people in all walks of life. Volunteers and financial support to provide volunteers with the assistance they need are critical to reaching Project Gutenberg-tm's goals and ensuring that the Project Gutenberg-tm collection will remain freely available for generations to come. In 2001, the Project Gutenberg Literary Archive Foundation was created to provide a secure and permanent future for Project Gutenberg-tm and future generations. To learn more about the Project Gutenberg Literary Archive Foundation and how your efforts and donations can help, see Sections 3 and 4 and the Foundation web page at https://www.pglaf.org. Section 3. Information about the Project Gutenberg Literary Archive Foundation The Project Gutenberg Literary Archive Foundation is a non profit 501(c)(3) educational corporation organized under the laws of the state of Mississippi and granted tax exempt status by the Internal Revenue Service. The Foundation's EIN or federal tax identification number is 64-6221541. Its 501(c)(3) letter is posted at https://pglaf.org/fundraising. Contributions to the Project Gutenberg Literary Archive Foundation are tax deductible to the full extent permitted by U.S. federal laws and your state's laws. The Foundation's principal office is located at 4557 Melan Dr. S. Fairbanks, AK, 99712., but its volunteers and employees are scattered throughout numerous locations. Its business office is located at 809 North 1500 West, Salt Lake City, UT 84116, (801) 596-1887, email business@pglaf.org. Email contact links and up to date contact information can be found at the Foundation's web site and official page at https://pglaf.org For additional contact information: Dr. Gregory B. Newby Chief Executive and Director gbnewby@pglaf.org Section 4. Information about Donations to the Project Gutenberg Literary Archive Foundation Project Gutenberg-tm depends upon and cannot survive without wide spread public support and donations to carry out its mission of increasing the number of public domain and licensed works that can be freely distributed in machine readable form accessible by the widest array of equipment including outdated equipment. Many small donations ($1 to $5,000) are particularly important to maintaining tax exempt status with the IRS. The Foundation is committed to complying with the laws regulating charities and charitable donations in all 50 states of the United States. Compliance requirements are not uniform and it takes a considerable effort, much paperwork and many fees to meet and keep up with these requirements. We do not solicit donations in locations where we have not received written confirmation of compliance. 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Hart was the originator of the Project Gutenberg-tm concept of a library of electronic works that could be freely shared with anyone. For thirty years, he produced and distributed Project Gutenberg-tm eBooks with only a loose network of volunteer support. Project Gutenberg-tm eBooks are often created from several printed editions, all of which are confirmed as Public Domain in the U.S. unless a copyright notice is included. Thus, we do not necessarily keep eBooks in compliance with any particular paper edition. Most people start at our Web site which has the main PG search facility: https://www.gutenberg.org This Web site includes information about Project Gutenberg-tm, including how to make donations to the Project Gutenberg Literary Archive Foundation, how to help produce our new eBooks, and how to subscribe to our email newsletter to hear about new eBooks.